La chronique européenne de▶ Denis de Rougemont (printemps 1979)k
Oui, c’est la France, parmi les Neuf, qui nous donne à la fois par certains ◀de▶ ses politiciens, les pires exemples ◀de▶ délire nationaliste (gaullistes et communistes à l’envi) et par son peuple, les raisons les plus raisonnables ◀de▶ faire confiance à l’avenir européen.
Je le montrerai par quelques preuves chiffrées. Et je ferai voir aussi que le général de Gaulle, invoqué rituellement par les uns et les autres, leur donne à tous des raisons ◀d’▶appeler ou ◀de▶ maudire l’union ◀de▶ l’Europe selon leurs préférences du moment.
I. Les identités nationales
On lit dans Le Monde du 6 février 1979, signées par le « président ◀de▶ l’association ◀de▶ fidélité à l’action du général de Gaulle », les phrases suivantes :
La Grande-Bretagne mise à part, les partenaires ◀de▶ la France dans l’Europe des Neuf sont ◀de▶ jeunes nations. L’on comprend que celles-ci soient moins attachées à leur identité que nous ne le sommes.
Un sondage publié par la CEE de Bruxelles fin janvier 1979 donne les résultats suivants en réponse à la question : « Dans la CEE, votre pays risque-t-il ◀de▶ perdre sa culture et son originalité ? »
B | DK | D | F | IRL | I | L | NL | GB | CE | |
oui | 24 | 54 | 27 | 22 | 60 | 17 | 45 | 34 | 57 | 31 % |
non | 48 | 31 | 58 | 66 | 33 | 70 | 42 | 59 | 36 | 57 % |
On voit qu’en fait la France, très ancienne nation, n’a pas peur ; que la Grande-Bretagne, très ancienne nation, a presque aussi peur que l’Irlande, très jeune nation (toutes les deux étant îles ◀de▶ surcroît), ◀de▶ « perdre son identité dans une union européenne ».
L’argument ne vaut strictement rien, ne traduit qu’ignorance et myopie historique.
II. Le « volapük » européen
Du même président des « Fidèles » à la pensée gaullienne, dans le même article, citons encore cette description proprement déchirante ◀de▶ l’avenir ◀de▶ la France dans une Europe unie :
Nous risquons ◀de▶ voir sous nos yeux s’accomplir l’irrémédiable, c’est-à-dire la fusion ◀de▶ la France dans une masse informe, modelée au gré des circonstances par les faucons ou les colombes du Pentagone.
Naturellement, les industries vitales seront réparties sans notre accord ; naturellement, notre force nucléaire se trouvera petit à petit démantelée ; naturellement, notre langue sera éliminée ; sans nul doute les principes et les objectifs ◀de▶ l’éducation ◀de▶ nos enfants seront modifiés, et il est vraisemblable que les inscriptions sur nos monuments seront traduites en « volapük ».
À ces fantasmes, on ne saurait opposer que la réalité vérifiable des problèmes linguistiques posés par notre union22.
Le français a rapidement pris une position dominante dans les Six et il l’a conservée même depuis l’adhésion ◀de▶ trois pays qui sont, ou bien anglophones, ou bien, en tout cas, éloignés du monde latin. Même la présidence ◀de▶ la Commission par un anglais n’apporte pas ◀de▶ changement radical dans cette situation. En sera-t-il de même quand ◀de▶ nouvelles adhésions se présenteront ? C’est à voir. Mais il deviendra ◀de▶ moins en moins probable que la Communauté puisse s’offrir le luxe, de plus en plus ruineux, ◀de▶ traduire tous ses documents obligatoirement en un nombre croissant ◀de▶ langues. Où, d’ailleurs, trouvera-t-on les interprètes capables ◀de▶ traduire du grec en portugais ou du danois en turc ? Ici, on touche à l’absurde.
Il semble donc réaliste ◀de▶ conclure que la CEE atteindra, dans ce domaine, à plus ou moins brève échéance, une « masse critique » où il sera simplement impossible ◀de▶ maintenir le régime linguistique actuel, par lequel tout national pourra toujours se faire traduire tout dans sa propre langue. L’option pour trois langues, dites « principales », deviendra alors inévitable.
Que l’anglais, le français et l’allemand s’imposeront alors, qui pourrait le nier ? Il serait sage ◀de▶ s’en tenir là, non pas à cause de la valeur intrinsèque (littéraire, par exemple) ◀de▶ ces trois-là, mais parce que, si la solution idéale est impossible, on choisit la plus pratique. Il suffirait alors que les fonctionnaires ◀de▶ la Communauté puissent s’exprimer couramment dans l’une ◀de▶ ces trois langues et comprendre l’une des deux autres.
III. Du vain travail ◀de▶ citer de Gaulle et ses saints
À propos de l’Europe, ◀de▶ la souveraineté nationale, et ◀de▶ l’élection ◀de▶ l’Assemblée européenne au suffrage universel, ils ont tout dit, et le contraire, et tout ce qu’il y a entre les deux.
Quelques exemples, entre plusieurs centaines ◀de▶ ceux que cite Edmond Jouve dans ses deux énormes volumes sur Le Général de Gaulle et la construction ◀de▶ l’Europe, 1940-1966 (884 p. et 972 p., Paris, 1967) :
Sur l’élection au suffrage universel ◀de▶ l’Assemblée européenne, le général est positif : « On ne fera pas l’Europe si on ne la fait pas avec les peuples et en les y associant23. ». « C’est un référendum solennel ◀de▶ tous les Européens qui doit donner naissance à la fédération 24. » On précise que le suffrage universel aurait essentiellement pour objet ◀de▶ donner, ◀de▶ façon spectaculaire, une certaine légitimité à l’organisation projetée25.
On aura noté l’usage par de Gaulle du terme fédération en 1953. Il se fera de plus en plus rare, cédant la place à « confédération ». Mais en 1965 encore, un « Essai ◀de▶ déclaration » rédigé par les membres gaullistes du Parlement européen cite M. Couve de Murville comme ayant déclaré : « Une fédération est une confédération qui a réussi. »
M. J. Vendroux, beau-frère du Général, déclare à l’Assemblée nationale, en 1959, « qu’il s’est toujours montré partisan ◀d’▶élections européennes ».
En revanche, en 1960, M. Alain Peyrefitte juge cette initiative « prématurée et dangereuse ». En 1961, il déclare à la Chambre qu’il s’honore ◀d’▶avoir été l’un des membres du groupe ◀de▶ travail F. Dehousse « qui a rédigé le projet ◀d’▶élection ◀de▶ cette assemblée au suffrage universel », mais il réitère ses conseils ◀de▶ prudence, en termes curieux à rappeler aujourd’hui :
Il ne faut pas mettre la charrue devant les bœufs : il importe d’abord ◀d’▶étendre les compétences ◀de▶ cette assemblée. C’est précisément ce que le communiqué ◀de▶ Bad-Godesberg a décidé, et voilà une décision que je salue avec une vive satisfaction26.
Mais comment accorder tout cela avec le dogme ◀de▶ la sacro-sainte souveraineté nationale ? La réponse a été donnée dès 1945 dans un volume intitulé Demain la paix 27 par un auteur qui signait Bruère :
La souveraineté nationale, assurait-il, est « un dogme périmé… Depuis cinquante ans, c’est une erreur… Nos descendants associeront sans doute la notion ◀de▶ souveraineté nationale à une phase encore à demi-sauvage ◀de▶ la vie des nations… Les nations sont toujours vivantes, mais leur pleine souveraineté est morte ».
Bruère était le pseudonyme ◀de▶ résistance ◀de▶ Michel Debré.
À qui se fier ?
IV. De Gaulle et les régions
S’il est un sujet sur lequel les gaullistes ◀d’▶aujourd’hui se réclament avec passion ◀de▶ leur fidélité à la pensée du Général, c’est bien le sujet des régions et ◀de▶ l’Europe des régions : ◀de▶ Georges Pompidou à Jacques Chirac et ◀de▶ Lipkowski à Debré, ils n’ont cessé ◀de▶ clamer, depuis dix ans, leur rejet indigné des régions autonomes, conditions ◀de▶ cette Europe des régions dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle les « hérisse » selon l’expression ◀de▶ Pompidou, tandis qu’elle paraît à d’autres « infâme » et « criminelle ».
On sait que le thème est celui qui nous a le plus constamment requis et préoccupés ici même, comme en témoignent les cinq numéros spéciaux du Bulletin du CEC qui a précédé Cadmos 28 , et les deux volumes collectifs qui s’y sont ajoutés, ◀de▶ 1963 à 1979.
La thèse des gaullistes durs sur la région est totalement négative. Dans les deux volumes ◀de▶ M. Edmond Jouve cités plus haut, qui sont censés rassembler tous les discours, propos et textes du Général et ◀de▶ ses proches touchant les problèmes ◀de▶ l’Europe, ◀de▶ 1940 à 1960, le terme ne figure même pas à l’index général 29. Il n’empêche que les principaux ténors ◀de▶ la doctrine — dont M. Debré est le plus souvent et le plus volontiers cité par Jouve — n’ont cessé ◀de▶ proclamer que le régionalisme assimilé au séparatisme était l’une des formes les plus pernicieuses du « complot ◀de▶ l’Étranger » destiné à « défaire » la France. Mais s’agissait-il bien ◀de▶ la doctrine du Général ?
Celle-ci est exposée pour la première fois dans son principe et dans ses développements immédiats lors du discours tenu par le Général à la Foire ◀de▶ Lyon ◀de▶ 1968. À la séculaire centralisation étatique, qui avait fait jadis la force ◀de▶ la Nation, devaient selon lui succéder les régions, nouvelle formule ◀de▶ la prospérité nationale. Et ces régions, précisait-il, devaient « s’ouvrir » à leurs voisines, au-delà des frontières ◀de▶ l’État : le Nord à la Belgique, la Lorraine et l’Alsace à la RFA, Rhône-Alpes à la Suisse, la Provence à l’Italie, le Languedoc-Roussillon à la Méditerranée, etc. jusqu’à « la Normandie aux Anglais ».
Quelques mois plus tard, au printemps ◀de▶ 1969, contre l’avis ◀de▶ ses conseillers, de Gaulle lance la campagne pour le référendum sur les régions. C’est sur cette grande idée nouvelle qu’il a choisi ◀de▶ livrer la bataille décisive ◀de▶ son règne. Mais, en même temps, n’aurait-il pas choisi ◀de▶ se faire renvoyer par les Français à la rédaction ◀de▶ ses mémoires sur la France, cette « Princesse ◀de▶ légendes », cette Iseut que, tel Tristan, il n’aime jamais autant que lorsqu’il s’en voit séparé ? (◀D’▶où sa secrète, mais active connivence avec les traverses du destin qui « impose » aux amants ◀de▶ se quitter une fois de plus. Mais c’est lui qui a tout machiné, en posant le problème du Sénat…)
Selon mon interprétation, annoncée dès 1961, puis développée au lendemain ◀de▶ sa mort, en 197030, le problème des régions offrait au Général un point ◀de▶ chute idéal. Le paladin ◀de▶ l’Europe des nations et ◀d’▶une « certaine idée ◀de▶ la France » devenait aux yeux de l’Histoire le précurseur ◀de▶ l’ère nouvelle, celle des régions. Il gagnait sur tous les tableaux, en perdant son référendum.
Cette hypothèse trouve dans le livre ◀de▶ Jean Mauriac, Mort du général de Gaulle 31 plus ◀de▶ confirmation que l’historien le plus méfiant ne saurait en exiger. Jean Mauriac a noté au jour le jour et parfois ◀d’▶heure en heure, les propos spontanés du Général et ses confidences (à l’Histoire ?) au cours de la semaine précédant le référendum sur les régions, fixé au 27 avril 1969, puis aux lendemains ◀de▶ son retour définitif à Colombey. Citons ce petit livre, dont on comprend si bien que les gaullistes l’aient passé sous silence.
Pour Philippe de Gaulle, il n’y avait pas ◀de▶ doute : l’intention du Général était ◀de▶ mettre la régionalisation en place et ◀de▶ se retirer ensuite. (p. 18)
Le 23 avril 1969, quatre jours avant le vote, évoquant le référendum devant deux visiteurs, le général déclare :
Eh bien, je vais vous dire, si ça marche, ce sera très bien, naturellement ; si ça ne marche pas, ce sera très bien aussi… (p. 19)
Le 24 avril, au général Lalande, chef ◀de▶ son état-major particulier, il confie :
Même si j’échoue je serai gagnant, car, aux yeux de l’histoire, qui est le seul plan qui me concerne, l’avenir dira que j’ai été renversé sur un projet qui était essentiel pour le pays. (p. 25)
Le lendemain, il réitère, cette fois-ci à la RTF, devant tout le peuple français :
Votre réponse va engager le destin ◀de▶ la France, parce que, si je suis désavoué… sur ce sujet capital… je cesserai aussitôt ◀d’▶exercer mes fonctions. (p. 27)
On sait la suite, la démission immédiate dans la nuit même qui suit le rejet du oui au référendum, et la retraite à Colombey.
Devant ses anciens collaborateurs, le Général manifestait quelquefois une certaine satisfaction : celle ◀d’▶avoir « réussi son départ ». Il disait par exemple : « J’ai pris la bonne sortie devant l’histoire, parce que j’ai attiré l’attention du pays sur la participation essentielle à l’avenir ◀de▶ la France. » (p. 53)
Nos lecteurs savent assez à quel point, pour les fédéralistes européens, participation des citoyens et petites unités régionales sont en étroite dépendance. Pour ma part, j’ai toujours défini la région non pas comme une ethnie d’abord, ou comme une entité économique, mais comme un « espace ◀de▶ participation civique ».
Le général ajoute :
La réforme des régions, c’était le dernier service que je pouvais rendre à la France. (p. 54)
Dans mes mémoires, j’expliquerai pourquoi il fallait faire cette réforme… Elle était absolument nécessaire. C’était une affaire fondamentale. (p. 131)
Ceci enfin qui résume tout : à M. P. Messmer venu lui rendre visite le 16 juillet 1969 il redit que « partir sur le refus ◀d’▶une grande réforme n’est pas mauvais » et il ajoute, — amer, cette fois-ci — « Je ne le regrette pas pour moi, mais pour la France qui ne connaîtra pas, avant longtemps, ◀de▶ vraies régions et qui va se vautrer dans la médiocrité ». (p. 115)
Les véritables héritiers ◀de▶ la pensée gaullienne, sur le thème régional, sont-ils donc les fédéralistes européens ? Il y aurait beaucoup à nuancer, partant du fait qu’en 1969, la plupart des régionalistes français s’opposèrent au projet gaullien, jugé par eux insuffisant.
Mais ce qui éclate à l’évidence, c’est que les « fidèles » gaullistes trahissent ouvertement le dernier Grand Dessein du Général en se rangeant au parti jacobin, antifédéraliste et antieuropéen.
V. État ◀de▶ l’évolution vers les régions en Europe de l’Ouest
Pendant ce temps, la cause des régions progresse au-delà ◀de▶ tout ce que nous pouvions espérer, il y a dix ans, lors de l’échec du référendum gaullien.
Rappelons d’abord que l’Allemagne fédérale a été divisée par les Alliés ◀de▶ 1945 en onze « Länder », dans l’intention avouée ◀de▶ l’affaiblir. En fait, ce régime fédéraliste et régionaliste explique en bonne partie le « miracle » ◀de▶ la restauration économique, sociale et politique ◀de▶ la RFA.
L’Italie s’est dotée, en 1946, après la chute du fascisme, ◀d’▶une Constitution qui prévoyait la formation ◀de▶ cinq régions autonomes, aussitôt réalisées : Val ◀d’▶Aoste, Sardaigne, Sicile, Frioul, Haut-Adige ; et ◀de▶ régions semi-autonomes qui ne sont devenues réalités qu’en 1970. Le régime régional a permis l’accession au pouvoir du parti communiste dans plusieurs provinces importantes ◀de▶ la Péninsule, et donné ◀de▶ la sorte les premières démonstrations — et les seules jusqu’ici — ◀d’▶un pouvoir « communiste » non totalitaire.
La Suisse figure depuis près de sept siècles l’image exemplaire ◀d’▶une fédération ◀de▶ régions historiques, qui trouvent dans leur union — strictement limitée à certaines fonctions publiques — la garantie ◀de▶ leur autonomie.
Plus frappante encore est l’évolution récente des trois pays qui ont forgé les premiers modèles ◀de▶ l’État-nation, c’est-à-dire ◀de▶ la mainmise ◀d’▶un État central et centralisateur sur les nations voisines, annexées et alignées sans égard pour leurs intérêts propres ni pour leurs identités culturelles, coutumières et linguistiques.
En France, le général de Gaulle a été le premier à déclarer que la formule ◀de▶ développement ◀de▶ son pays n’était plus la centralisation, mais la région. L’organisation ◀de▶ 21 « régions ◀de▶ développement » s’en est suivie, chacune groupant ◀de▶ trois à huit départements. Plusieurs ◀de▶ ces régions se posent la question ◀de▶ leur taille : elles la voudraient « européenne », c’est-à-dire compétitive avec tel Land ◀de▶ la RFA, telle région italienne, voire tel canton suisse. C’est un début.
En Grande-Bretagne, l’Écosse élit un nombre déjà imposant ◀de▶ députés autonomistes à la Chambre des communes, cependant que le pays de Galles a déjà un représentant accrédité auprès du gouvernement ◀de▶ Londres. Le problème ◀de▶ la dévolution, c’est-à-dire ◀de▶ la restitution à des nations primaires, autrefois ou naguère annexées, ◀de▶ leurs libertés primitives, est devenu l’un des problèmes majeurs du Royaume-Uni, et l’évolution se prononce dans l’ensemble — avec des à-coups importants — comme l’ont montré les référendums ◀de▶ mars 1979 en Écosse et en pays de Galles — dans le sens ◀d’▶une autonomie croissante des régions ethniques, certains leaders extrémistes allant jusqu’à demander le rattachement direct ◀de▶ leur région à l’Europe unie, sans passer par le relais londonien. Mais, disent les Anglais, « il est ridicule ◀d’▶avoir des assemblées pour les Écossais et pour les Gallois, et non pour les régions anglaises ». Ce qui situe le problème à son niveau réel : celui ◀de▶ la communauté civique plus qu’ethnique.
L’évolution ◀de▶ l’Espagne vers la régionalisation, au lendemain ◀de▶ la restauration ◀de▶ la monarchie libérale, est sans doute exemplaire, et la meilleure annonciatrice du proche avenir européen. Contre toute attente des sceptiques et des réalistes du reste ◀de▶ l’Europe, l’Espagne a restitué en fait et en droit l’autonomie au gouvernement ◀de▶ la Catalogne, la Generalitat. Elle a approuvé en 1978 la « pré-autonomie » du Pays basque (Euskadi), ◀de▶ la Galice, ◀de▶ l’Aragon, ◀de▶ la province ◀de▶ Valence, et des Canaries.
Surtout, la Constitution adoptée en 1978 reconnaît non seulement dans son article 2 « le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui composent la nation espagnole », mais déclare à l’art. 137 que « l’État se compose ◀de▶ communes, ◀de▶ provinces et des communautés autonomes qui seront constituées. Toutes ces entités jouissent ◀d’▶une autonomie pour la gestion ◀de▶ leurs intérêts respectifs ».
Enfin, les art. 143 à 158 définissent en détail les compétences et droits des communautés autonomes à créer — exact équivalent des régions préconisées au chapitre IV ◀de▶ ce Rapport.
En Belgique, un projet ◀de▶ Constitution révisée est en voie ◀d’▶élaboration depuis plusieurs années. Il prévoit une répartition des pouvoirs entre quatre régions — wallonne, flamande, allemande, bruxelloise — mais au-delà ◀de▶ cette division que le xixe siècle eût imaginé sans peine, il prévoit beaucoup plus : la répartition du pouvoir étatique à des « sous-régions » formées ◀de▶ communes associées, et que l’on a proposé ◀d’▶appeler des « fédérations ◀de▶ pays », ◀de▶ communes, ◀de▶ mini-régions. Jamais constitution ◀d’▶un pays ◀d’▶Europe n’aura proposé une meilleure approximation du modèle fédéraliste intégral.
Reste le cas décisif des régions transfrontalières.
Les colloques réunis sous les auspices du Conseil de l’Europe ont permis ◀de▶ dresser une carte provisoire des régions en voie ◀de▶ formation ou d’ores et déjà opérationnelles dans certains secteurs.
On trouvera parmi elles une quinzaine ◀de▶ régions transrhénanes, dont cinq ou six déjà fonctionnent, notamment Euregio Nord ; Ardenne-Eifel ; Moyenne Alsace-Brisgau ; Regio Basiliensis (Bâle, Bade, Alsace).
La région lémano-alpine, étudiée par l’Institut universitaire ◀d’▶études européennes ◀de▶ Genève, engloberait la Suisse romande, la Franche-Comté, la Savoie, le Val ◀d’▶Aoste, des parties ◀de▶ l’Ain et ◀de▶ l’Isère, seize institutions universitaires, deux aéroports intercontinentaux et 80 % ◀de▶ la production horlogère du continent. Une partie seulement ◀de▶ cette région, le bassin entre Alpes et Jura occupé par le canton ◀de▶ Genève, la Haute-Savoie et le pays ◀de▶ Gex, est dotée ◀d’▶une commission franco-suisse nommée par les gouvernements. Des institutions analogues sont entrées en fonction dès 1975 dans la Regio Basiliensis et dans l’Euregio Nord.
La région Alpazur (Côte ◀d’▶Azur, provinces ◀d’▶Imperia et ◀de▶ Cuneo) bénéficie ◀de▶ l’appui ◀de▶ tous les élus départementaux (français) et provinciaux (italiens).
La région triestine présente la caractéristique unique ◀d’▶unir au niveau régional des ressortissants ◀d’▶un pays ◀de▶ l’Est et ◀de▶ deux pays ◀de▶ l’Ouest.
VI. Déclaration ◀de▶ Copenhague
Adoptée à l’unanimité le 21 septembre 1978 par la troisième Convention sur la régionalisation et la décentralisation réunie par l’Institut danois :
1. L’organisation politique ◀de▶ l’Europe en régions est la condition ◀d’▶un développement harmonieux et pacifique des peuples européens.
2. Selon les termes mêmes ◀de▶ la déclaration faite à Bordeaux, par la Convention du Conseil de l’Europe sur les problèmes ◀de▶ la régionalisation, termes que nous faisons nôtres, la région en Europe doit être définie comme le territoire ◀d’▶une communauté humaine : « Cette communauté se caractérise par une homogénéité ◀d’▶ordre historique ou culturel, géographique ou économique, ou tout à la fois, qui confère à la population une cohésion dans la poursuite ◀d’▶objectifs et ◀d’▶intérêts communs. C’est cette cohésion, autour ◀d’▶un certain nombre ◀de▶ critères variables, mais jugés essentiels par la communauté elle-même, qui donne à celle-ci sa personnalité et le désir ◀d’▶exister et ◀d’▶être considérée comme une unité. » En aucun cas, le découpage régional ne devra établir ◀de▶ frontière au travers ◀d’▶une telle communauté.
3. La région doit bénéficier ◀d’▶un régime démocratique, qui implique l’élection au suffrage universel ◀d’▶une Assemblée régionale délibérante et l’existence ◀d’▶un exécutif régional responsable devant elle.
4. Le principe ◀de▶ l’autonomie régionale s’applique à tous les domaines essentiels à la vie et au développement ◀de▶ la communauté.
5. Les accords et les conflits entre les régions, entre les régions et les États, entre les régions et l’Europe, font l’objet ◀de▶ procédures ◀de▶ concertation et ◀de▶ conciliation, incluant, en cas ◀de▶ nécessité, le recours à une Cour ◀d’▶arbitrage à l’échelon européen.
6. Une deuxième Chambre européenne, à représentation régionale, donne aux régions le moyen ◀d’▶intervenir dans la politique ◀de▶ construction et ◀de▶ gestion ◀de▶ l’Europe.