La▶ chronique européenne ◀de▶ Denis de Rougemont (printemps 1979)k
Oui, c’est ◀la▶ France, parmi ◀les▶ Neuf, qui nous donne à la fois par certains ◀de▶ ses politiciens, ◀les▶ pires exemples ◀de▶ délire nationaliste (gaullistes et communistes à l’envi) et par son peuple, ◀les▶ raisons ◀les▶ plus raisonnables ◀de▶ faire confiance à ◀l’▶avenir européen.
Je ◀le▶ montrerai par quelques preuves chiffrées. Et je ferai voir aussi que ◀le▶ général de Gaulle, invoqué rituellement par ◀les▶ uns et ◀les▶ autres, leur donne à tous des raisons ◀d’▶appeler ou ◀de▶ maudire ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe selon leurs préférences du moment.
I. ◀Les▶ identités nationales
On lit dans ◀Le▶ Monde du 6 février 1979, signées par ◀le▶ « président ◀de▶ ◀l’▶association ◀de▶ fidélité à ◀l’▶action du général de Gaulle », ◀les▶ phrases suivantes :
◀La▶ Grande-Bretagne mise à part, ◀les▶ partenaires ◀de▶ ◀la▶ France dans ◀l’▶Europe des Neuf sont ◀de▶ jeunes nations. ◀L’▶on comprend que celles-ci soient moins attachées à leur identité que nous ne ◀le▶ sommes.
Un sondage publié par ◀la▶ CEE de Bruxelles fin janvier 1979 donne ◀les▶ résultats suivants en réponse à ◀la▶ question : « Dans ◀la▶ CEE, votre pays risque-t-il ◀de▶ perdre sa culture et son originalité ? »
B | DK | D | F | IRL | I | L | NL | GB | CE | |
oui | 24 | 54 | 27 | 22 | 60 | 17 | 45 | 34 | 57 | 31 % |
non | 48 | 31 | 58 | 66 | 33 | 70 | 42 | 59 | 36 | 57 % |
On voit qu’en fait ◀la▶ France, très ancienne nation, n’a pas peur ; que ◀la▶ Grande-Bretagne, très ancienne nation, a presque aussi peur que ◀l’▶Irlande, très jeune nation (toutes ◀les▶ deux étant îles ◀de▶ surcroît), ◀de▶ « perdre son identité dans une union européenne ».
◀L’▶argument ne vaut strictement rien, ne traduit qu’ignorance et myopie historique.
II. ◀Le▶ « volapük » européen
Du même président des « Fidèles » à ◀la▶ pensée gaullienne, dans ◀le▶ même article, citons encore cette description proprement déchirante ◀de▶ ◀l’▶avenir ◀de▶ ◀la▶ France dans une Europe unie :
Nous risquons ◀de▶ voir sous nos yeux s’accomplir ◀l’▶irrémédiable, c’est-à-dire ◀la▶ fusion ◀de▶ ◀la▶ France dans une masse informe, modelée au gré des circonstances par ◀les▶ faucons ou ◀les▶ colombes du Pentagone.
Naturellement, ◀les▶ industries vitales seront réparties sans notre accord ; naturellement, notre force nucléaire se trouvera petit à petit démantelée ; naturellement, notre langue sera éliminée ; sans nul doute ◀les▶ principes et ◀les▶ objectifs ◀de▶ ◀l’▶éducation ◀de▶ nos enfants seront modifiés, et il est vraisemblable que ◀les▶ inscriptions sur nos monuments seront traduites en « volapük ».
À ces fantasmes, on ne saurait opposer que ◀la▶ réalité vérifiable des problèmes linguistiques posés par notre union22.
◀Le▶ français a rapidement pris une position dominante dans ◀les▶ Six et il ◀l’▶a conservée même depuis ◀l’▶adhésion ◀de▶ trois pays qui sont, ou bien anglophones, ou bien, en tout cas, éloignés du monde latin. Même ◀la▶ présidence ◀de▶ ◀la▶ Commission par un anglais n’apporte pas ◀de▶ changement radical dans cette situation. En sera-t-il de même quand ◀de▶ nouvelles adhésions se présenteront ? C’est à voir. Mais il deviendra ◀de▶ moins en moins probable que ◀la▶ Communauté puisse s’offrir ◀le▶ luxe, de plus en plus ruineux, ◀de▶ traduire tous ses documents obligatoirement en un nombre croissant ◀de▶ langues. Où, d’ailleurs, trouvera-t-on ◀les▶ interprètes capables ◀de▶ traduire du grec en portugais ou du danois en turc ? Ici, on touche à ◀l’▶absurde.
Il semble donc réaliste ◀de▶ conclure que ◀la▶ CEE atteindra, dans ce domaine, à plus ou moins brève échéance, une « masse critique » où il sera simplement impossible ◀de▶ maintenir ◀le▶ régime linguistique actuel, par lequel tout national pourra toujours se faire traduire tout dans sa propre langue. ◀L’▶option pour trois langues, dites « principales », deviendra alors inévitable.
Que ◀l’▶anglais, ◀le▶ français et ◀l’▶allemand s’imposeront alors, qui pourrait ◀le▶ nier ? Il serait sage ◀de▶ s’en tenir là, non pas à cause de ◀la▶ valeur intrinsèque (littéraire, par exemple) ◀de▶ ces trois-là, mais parce que, si ◀la▶ solution idéale est impossible, on choisit ◀la▶ plus pratique. Il suffirait alors que ◀les▶ fonctionnaires ◀de▶ ◀la▶ Communauté puissent s’exprimer couramment dans l’une ◀de▶ ces trois langues et comprendre l’une des deux autres.
III. Du vain travail ◀de▶ citer de Gaulle et ses saints
À propos de ◀l’▶Europe, ◀de▶ ◀la▶ souveraineté nationale, et ◀de▶ ◀l’▶élection ◀de▶ ◀l’▶Assemblée européenne au suffrage universel, ils ont tout dit, et ◀le▶ contraire, et tout ce qu’il y a entre ◀les▶ deux.
Quelques exemples, entre plusieurs centaines ◀de▶ ceux que cite Edmond Jouve dans ses deux énormes volumes sur ◀Le▶ Général de Gaulle et ◀la▶ construction ◀de▶ ◀l’▶Europe, 1940-1966 (884 p. et 972 p., Paris, 1967) :
Sur ◀l’▶élection au suffrage universel ◀de▶ ◀l’▶Assemblée européenne, ◀le▶ général est positif : « On ne fera pas ◀l’▶Europe si on ne ◀la▶ fait pas avec ◀les▶ peuples et en ◀les▶ y associant23. ». « C’est un référendum solennel ◀de▶ tous ◀les▶ Européens qui doit donner naissance à ◀la▶ fédération 24. » On précise que ◀le▶ suffrage universel aurait essentiellement pour objet ◀de▶ donner, ◀de▶ façon spectaculaire, une certaine légitimité à ◀l’▶organisation projetée25.
On aura noté ◀l’▶usage par de Gaulle du terme fédération en 1953. Il se fera de plus en plus rare, cédant ◀la▶ place à « confédération ». Mais en 1965 encore, un « Essai ◀de▶ déclaration » rédigé par ◀les▶ membres gaullistes du Parlement européen cite M. Couve de Murville comme ayant déclaré : « Une fédération est une confédération qui a réussi. »
M. J. Vendroux, beau-frère du Général, déclare à ◀l’▶Assemblée nationale, en 1959, « qu’il s’est toujours montré partisan ◀d’▶élections européennes ».
En revanche, en 1960, M. Alain Peyrefitte juge cette initiative « prématurée et dangereuse ». En 1961, il déclare à ◀la▶ Chambre qu’il s’honore ◀d’▶avoir été l’un des membres du groupe ◀de▶ travail F. Dehousse « qui a rédigé ◀le▶ projet ◀d’▶élection ◀de▶ cette assemblée au suffrage universel », mais il réitère ses conseils ◀de▶ prudence, en termes curieux à rappeler aujourd’hui :
Il ne faut pas mettre ◀la▶ charrue devant ◀les▶ bœufs : il importe d’abord ◀d’▶étendre ◀les▶ compétences ◀de▶ cette assemblée. C’est précisément ce que ◀le▶ communiqué ◀de▶ Bad-Godesberg a décidé, et voilà une décision que je salue avec une vive satisfaction26.
Mais comment accorder tout cela avec ◀le▶ dogme ◀de▶ ◀la▶ sacro-sainte souveraineté nationale ? ◀La▶ réponse a été donnée dès 1945 dans un volume intitulé Demain ◀la▶ paix 27 par un auteur qui signait Bruère :
◀La▶ souveraineté nationale, assurait-il, est « un dogme périmé… Depuis cinquante ans, c’est une erreur… Nos descendants associeront sans doute ◀la▶ notion ◀de▶ souveraineté nationale à une phase encore à demi-sauvage ◀de▶ ◀la▶ vie des nations… ◀Les▶ nations sont toujours vivantes, mais leur pleine souveraineté est morte ».
Bruère était ◀le▶ pseudonyme ◀de▶ résistance ◀de▶ Michel Debré.
À qui se fier ?
IV. De Gaulle et ◀les▶ régions
S’il est un sujet sur lequel ◀les▶ gaullistes ◀d’▶aujourd’hui se réclament avec passion ◀de▶ leur fidélité à ◀la▶ pensée du Général, c’est bien ◀le▶ sujet des régions et ◀de▶ ◀l’▶Europe des régions : ◀de▶ Georges Pompidou à Jacques Chirac et ◀de▶ Lipkowski à Debré, ils n’ont cessé ◀de▶ clamer, depuis dix ans, leur rejet indigné des régions autonomes, conditions ◀de▶ cette Europe des régions dont ◀le▶ moins qu’on puisse dire est qu’elle ◀les▶ « hérisse » selon ◀l’▶expression ◀de▶ Pompidou, tandis qu’elle paraît à d’autres « infâme » et « criminelle ».
On sait que ◀le▶ thème est celui qui nous a ◀le▶ plus constamment requis et préoccupés ici même, comme en témoignent ◀les▶ cinq numéros spéciaux du Bulletin du CEC qui a précédé Cadmos 28 , et ◀les▶ deux volumes collectifs qui s’y sont ajoutés, ◀de▶ 1963 à 1979.
◀La▶ thèse des gaullistes durs sur ◀la▶ région est totalement négative. Dans ◀les▶ deux volumes ◀de▶ M. Edmond Jouve cités plus haut, qui sont censés rassembler tous ◀les▶ discours, propos et textes du Général et ◀de▶ ses proches touchant ◀les▶ problèmes ◀de▶ ◀l’▶Europe, ◀de▶ 1940 à 1960, ◀le▶ terme ne figure même pas à ◀l’▶index général 29. Il n’empêche que ◀les▶ principaux ténors ◀de▶ ◀la▶ doctrine — dont M. Debré est ◀le▶ plus souvent et ◀le▶ plus volontiers cité par Jouve — n’ont cessé ◀de▶ proclamer que ◀le▶ régionalisme assimilé au séparatisme était l’une des formes ◀les▶ plus pernicieuses du « complot ◀de▶ ◀l’▶Étranger » destiné à « défaire » ◀la▶ France. Mais s’agissait-il bien ◀de▶ ◀la▶ doctrine du Général ?
Celle-ci est exposée pour la première fois dans son principe et dans ses développements immédiats lors du discours tenu par ◀le▶ Général à ◀la▶ Foire ◀de▶ Lyon ◀de▶ 1968. À ◀la▶ séculaire centralisation étatique, qui avait fait jadis ◀la▶ force ◀de▶ ◀la▶ Nation, devaient selon lui succéder ◀les▶ régions, nouvelle formule ◀de▶ ◀la▶ prospérité nationale. Et ces régions, précisait-il, devaient « s’ouvrir » à leurs voisines, au-delà des frontières ◀de▶ ◀l’▶État : ◀le▶ Nord à ◀la▶ Belgique, ◀la▶ Lorraine et ◀l’▶Alsace à ◀la▶ RFA, Rhône-Alpes à ◀la▶ Suisse, ◀la▶ Provence à ◀l’▶Italie, ◀le▶ Languedoc-Roussillon à ◀la▶ Méditerranée, etc. jusqu’à « ◀la▶ Normandie aux Anglais ».
Quelques mois plus tard, au printemps ◀de▶ 1969, contre ◀l’▶avis ◀de▶ ses conseillers, de Gaulle lance ◀la▶ campagne pour ◀le▶ référendum sur ◀les▶ régions. C’est sur cette grande idée nouvelle qu’il a choisi ◀de▶ livrer ◀la▶ bataille décisive ◀de▶ son règne. Mais, en même temps, n’aurait-il pas choisi ◀de▶ se faire renvoyer par ◀les▶ Français à ◀la▶ rédaction ◀de▶ ses mémoires sur ◀la▶ France, cette « Princesse ◀de▶ légendes », cette Iseut que, tel Tristan, il n’aime jamais autant que lorsqu’il s’en voit séparé ? (◀D’▶où sa secrète, mais active connivence avec ◀les▶ traverses du destin qui « impose » aux amants ◀de▶ se quitter une fois de plus. Mais c’est lui qui a tout machiné, en posant ◀le▶ problème du Sénat…)
Selon mon interprétation, annoncée dès 1961, puis développée au lendemain ◀de▶ sa mort, en 197030, ◀le▶ problème des régions offrait au Général un point ◀de▶ chute idéal. ◀Le▶ paladin ◀de▶ ◀l’▶Europe des nations et ◀d’▶une « certaine idée ◀de▶ ◀la▶ France » devenait aux yeux de ◀l’▶Histoire ◀le▶ précurseur ◀de▶ ◀l’▶ère nouvelle, celle des régions. Il gagnait sur tous ◀les▶ tableaux, en perdant son référendum.
Cette hypothèse trouve dans ◀le▶ livre ◀de▶ Jean Mauriac, Mort du général de Gaulle 31 plus ◀de▶ confirmation que ◀l’▶historien ◀le▶ plus méfiant ne saurait en exiger. Jean Mauriac a noté au jour ◀le▶ jour et parfois ◀d’▶heure en heure, ◀les▶ propos spontanés du Général et ses confidences (à ◀l’▶Histoire ?) au cours de ◀la▶ semaine précédant ◀le▶ référendum sur ◀les▶ régions, fixé au 27 avril 1969, puis aux lendemains ◀de▶ son retour définitif à Colombey. Citons ce petit livre, dont on comprend si bien que ◀les▶ gaullistes ◀l’▶aient passé sous silence.
Pour Philippe de Gaulle, il n’y avait pas ◀de▶ doute : ◀l’▶intention du Général était ◀de▶ mettre ◀la▶ régionalisation en place et ◀de▶ se retirer ensuite. (p. 18)
◀Le▶ 23 avril 1969, quatre jours avant ◀le▶ vote, évoquant ◀le▶ référendum devant deux visiteurs, ◀le▶ général déclare :
Eh bien, je vais vous dire, si ça marche, ce sera très bien, naturellement ; si ça ne marche pas, ce sera très bien aussi… (p. 19)
◀Le▶ 24 avril, au général Lalande, chef ◀de▶ son état-major particulier, il confie :
Même si j’échoue je serai gagnant, car, aux yeux de ◀l’▶histoire, qui est ◀le▶ seul plan qui me concerne, ◀l’▶avenir dira que j’ai été renversé sur un projet qui était essentiel pour ◀le▶ pays. (p. 25)
◀Le▶ lendemain, il réitère, cette fois-ci à ◀la▶ RTF, devant tout ◀le▶ peuple français :
Votre réponse va engager ◀le▶ destin ◀de▶ ◀la▶ France, parce que, si je suis désavoué… sur ce sujet capital… je cesserai aussitôt ◀d’▶exercer mes fonctions. (p. 27)
On sait ◀la▶ suite, ◀la▶ démission immédiate dans ◀la▶ nuit même qui suit ◀le▶ rejet du oui au référendum, et ◀la▶ retraite à Colombey.
Devant ses anciens collaborateurs, ◀le▶ Général manifestait quelquefois une certaine satisfaction : celle ◀d’▶avoir « réussi son départ ». Il disait par exemple : « J’ai pris ◀la▶ bonne sortie devant ◀l’▶histoire, parce que j’ai attiré ◀l’▶attention du pays sur ◀la▶ participation essentielle à ◀l’▶avenir ◀de▶ ◀la▶ France. » (p. 53)
Nos lecteurs savent assez à quel point, pour ◀les▶ fédéralistes européens, participation des citoyens et petites unités régionales sont en étroite dépendance. Pour ma part, j’ai toujours défini ◀la▶ région non pas comme une ethnie d’abord, ou comme une entité économique, mais comme un « espace ◀de▶ participation civique ».
◀La▶ réforme des régions, c’était le dernier service que je pouvais rendre à ◀la▶ France. (p. 54)
Dans mes mémoires, j’expliquerai pourquoi il fallait faire cette réforme… Elle était absolument nécessaire. C’était une affaire fondamentale. (p. 131)
Ceci enfin qui résume tout : à M. P. Messmer venu lui rendre visite ◀le▶ 16 juillet 1969 il redit que « partir sur ◀le▶ refus ◀d’▶une grande réforme n’est pas mauvais » et il ajoute, — amer, cette fois-ci — « Je ne ◀le▶ regrette pas pour moi, mais pour ◀la▶ France qui ne connaîtra pas, avant longtemps, ◀de▶ vraies régions et qui va se vautrer dans ◀la▶ médiocrité ». (p. 115)
◀Les▶ véritables héritiers ◀de▶ ◀la▶ pensée gaullienne, sur ◀le▶ thème régional, sont-ils donc ◀les▶ fédéralistes européens ? Il y aurait beaucoup à nuancer, partant du fait qu’en 1969, la plupart des régionalistes français s’opposèrent au projet gaullien, jugé par eux insuffisant.
Mais ce qui éclate à ◀l’▶évidence, c’est que ◀les▶ « fidèles » gaullistes trahissent ouvertement le dernier Grand Dessein du Général en se rangeant au parti jacobin, antifédéraliste et antieuropéen.
V. État ◀de▶ ◀l’▶évolution vers ◀les▶ régions en Europe de l’Ouest
Pendant ce temps, ◀la▶ cause des régions progresse au-delà ◀de▶ tout ce que nous pouvions espérer, il y a dix ans, lors de ◀l’▶échec du référendum gaullien.
Rappelons d’abord que ◀l’▶Allemagne fédérale a été divisée par ◀les▶ Alliés ◀de▶ 1945 en onze « Länder », dans ◀l’▶intention avouée ◀de▶ ◀l’▶affaiblir. En fait, ce régime fédéraliste et régionaliste explique en bonne partie ◀le▶ « miracle » ◀de▶ ◀la▶ restauration économique, sociale et politique ◀de▶ ◀la▶ RFA.
◀L’▶Italie s’est dotée, en 1946, après ◀la▶ chute du fascisme, ◀d’▶une Constitution qui prévoyait ◀la▶ formation ◀de▶ cinq régions autonomes, aussitôt réalisées : Val ◀d’▶Aoste, Sardaigne, Sicile, Frioul, Haut-Adige ; et ◀de▶ régions semi-autonomes qui ne sont devenues réalités qu’en 1970. ◀Le▶ régime régional a permis ◀l’▶accession au pouvoir du parti communiste dans plusieurs provinces importantes ◀de▶ ◀la▶ Péninsule, et donné ◀de▶ ◀la▶ sorte les premières démonstrations — et ◀les▶ seules jusqu’ici — ◀d’▶un pouvoir « communiste » non totalitaire.
◀La▶ Suisse figure depuis près de sept siècles ◀l’▶image exemplaire ◀d’▶une fédération ◀de▶ régions historiques, qui trouvent dans leur union — strictement limitée à certaines fonctions publiques — ◀la▶ garantie ◀de▶ leur autonomie.
Plus frappante encore est ◀l’▶évolution récente des trois pays qui ont forgé les premiers modèles ◀de▶ ◀l’▶État-nation, c’est-à-dire ◀de▶ ◀la▶ mainmise ◀d’▶un État central et centralisateur sur ◀les▶ nations voisines, annexées et alignées sans égard pour leurs intérêts propres ni pour leurs identités culturelles, coutumières et linguistiques.
En France, ◀le▶ général de Gaulle a été le premier à déclarer que ◀la▶ formule ◀de▶ développement ◀de▶ son pays n’était plus ◀la▶ centralisation, mais ◀la▶ région. ◀L’▶organisation ◀de▶ 21 « régions ◀de▶ développement » s’en est suivie, chacune groupant ◀de▶ trois à huit départements. Plusieurs ◀de▶ ces régions se posent la question ◀de▶ leur taille : elles ◀la▶ voudraient « européenne », c’est-à-dire compétitive avec tel Land ◀de▶ ◀la▶ RFA, telle région italienne, voire tel canton suisse. C’est un début.
En Grande-Bretagne, ◀l’▶Écosse élit un nombre déjà imposant ◀de▶ députés autonomistes à ◀la▶ Chambre des communes, cependant que ◀le▶ pays de Galles a déjà un représentant accrédité auprès du gouvernement ◀de▶ Londres. ◀Le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ dévolution, c’est-à-dire ◀de▶ ◀la▶ restitution à des nations primaires, autrefois ou naguère annexées, ◀de▶ leurs libertés primitives, est devenu l’un des problèmes majeurs du Royaume-Uni, et ◀l’▶évolution se prononce dans ◀l’▶ensemble — avec des à-coups importants — comme ◀l’▶ont montré ◀les▶ référendums ◀de▶ mars 1979 en Écosse et en pays de Galles — dans ◀le▶ sens ◀d’▶une autonomie croissante des régions ethniques, certains leaders extrémistes allant jusqu’à demander ◀le▶ rattachement direct ◀de▶ leur région à ◀l’▶Europe unie, sans passer par ◀le▶ relais londonien. Mais, disent ◀les▶ Anglais, « il est ridicule ◀d’▶avoir des assemblées pour ◀les▶ Écossais et pour ◀les▶ Gallois, et non pour ◀les▶ régions anglaises ». Ce qui situe ◀le▶ problème à son niveau réel : celui ◀de▶ ◀la▶ communauté civique plus qu’ethnique.
◀L’▶évolution ◀de▶ ◀l’▶Espagne vers ◀la▶ régionalisation, au lendemain ◀de▶ ◀la▶ restauration ◀de▶ ◀la▶ monarchie libérale, est sans doute exemplaire, et ◀la▶ meilleure annonciatrice du proche avenir européen. Contre toute attente des sceptiques et des réalistes du reste ◀de▶ ◀l’▶Europe, ◀l’▶Espagne a restitué en fait et en droit ◀l’▶autonomie au gouvernement ◀de▶ ◀la▶ Catalogne, ◀la▶ Generalitat. Elle a approuvé en 1978 ◀la▶ « pré-autonomie » du Pays basque (Euskadi), ◀de▶ ◀la▶ Galice, ◀de▶ ◀l’▶Aragon, ◀de▶ ◀la▶ province ◀de▶ Valence, et des Canaries.
Surtout, ◀la▶ Constitution adoptée en 1978 reconnaît non seulement dans son article 2 « ◀le▶ droit à ◀l’▶autonomie des nationalités et des régions qui composent ◀la▶ nation espagnole », mais déclare à ◀l’▶art. 137 que « ◀l’▶État se compose ◀de▶ communes, ◀de▶ provinces et des communautés autonomes qui seront constituées. Toutes ces entités jouissent ◀d’▶une autonomie pour ◀la▶ gestion ◀de▶ leurs intérêts respectifs ».
Enfin, ◀les▶ art. 143 à 158 définissent en détail ◀les▶ compétences et droits des communautés autonomes à créer — exact équivalent des régions préconisées au chapitre IV ◀de▶ ce Rapport.
En Belgique, un projet ◀de▶ Constitution révisée est en voie ◀d’▶élaboration depuis plusieurs années. Il prévoit une répartition des pouvoirs entre quatre régions — wallonne, flamande, allemande, bruxelloise — mais au-delà ◀de▶ cette division que ◀le▶ xixe siècle eût imaginé sans peine, il prévoit beaucoup plus : ◀la▶ répartition du pouvoir étatique à des « sous-régions » formées ◀de▶ communes associées, et que ◀l’▶on a proposé ◀d’▶appeler des « fédérations ◀de▶ pays », ◀de▶ communes, ◀de▶ mini-régions. Jamais constitution ◀d’▶un pays ◀d’▶Europe n’aura proposé une meilleure approximation du modèle fédéraliste intégral.
Reste ◀le▶ cas décisif des régions transfrontalières.
◀Les▶ colloques réunis sous ◀les▶ auspices du Conseil de l’Europe ont permis ◀de▶ dresser une carte provisoire des régions en voie ◀de▶ formation ou d’ores et déjà opérationnelles dans certains secteurs.
On trouvera parmi elles une quinzaine ◀de▶ régions transrhénanes, dont cinq ou six déjà fonctionnent, notamment Euregio Nord ; Ardenne-Eifel ; Moyenne Alsace-Brisgau ; Regio Basiliensis (Bâle, Bade, Alsace).
◀La▶ région lémano-alpine, étudiée par ◀l’▶Institut universitaire ◀d’▶études européennes ◀de▶ Genève, engloberait ◀la▶ Suisse romande, ◀la▶ Franche-Comté, ◀la▶ Savoie, ◀le▶ Val ◀d’▶Aoste, des parties ◀de▶ ◀l’▶Ain et ◀de▶ ◀l’▶Isère, seize institutions universitaires, deux aéroports intercontinentaux et 80 % ◀de▶ ◀la▶ production horlogère du continent. Une partie seulement ◀de▶ cette région, ◀le▶ bassin entre Alpes et Jura occupé par ◀le▶ canton ◀de▶ Genève, ◀la▶ Haute-Savoie et ◀le▶ pays ◀de▶ Gex, est dotée ◀d’▶une commission franco-suisse nommée par ◀les▶ gouvernements. Des institutions analogues sont entrées en fonction dès 1975 dans ◀la▶ Regio Basiliensis et dans ◀l’▶Euregio Nord.
◀La▶ région Alpazur (Côte ◀d’▶Azur, provinces ◀d’▶Imperia et ◀de▶ Cuneo) bénéficie ◀de▶ ◀l’▶appui ◀de▶ tous ◀les▶ élus départementaux (français) et provinciaux (italiens).
◀La▶ région triestine présente ◀la▶ caractéristique unique ◀d’▶unir au niveau régional des ressortissants ◀d’▶un pays ◀de▶ ◀l’▶Est et ◀de▶ deux pays ◀de▶ ◀l’▶Ouest.
VI. Déclaration ◀de▶ Copenhague
Adoptée à ◀l’▶unanimité ◀le▶ 21 septembre 1978 par la troisième Convention sur ◀la▶ régionalisation et ◀la▶ décentralisation réunie par ◀l’▶Institut danois :
1. ◀L’▶organisation politique ◀de▶ ◀l’▶Europe en régions est ◀la▶ condition ◀d’▶un développement harmonieux et pacifique des peuples européens.
2. Selon ◀les▶ termes mêmes ◀de▶ ◀la▶ déclaration faite à Bordeaux, par ◀la▶ Convention du Conseil de l’Europe sur ◀les▶ problèmes ◀de▶ ◀la▶ régionalisation, termes que nous faisons nôtres, ◀la▶ région en Europe doit être définie comme ◀le▶ territoire ◀d’▶une communauté humaine : « Cette communauté se caractérise par une homogénéité ◀d’▶ordre historique ou culturel, géographique ou économique, ou tout à la fois, qui confère à ◀la▶ population une cohésion dans ◀la▶ poursuite ◀d’▶objectifs et ◀d’▶intérêts communs. C’est cette cohésion, autour ◀d’▶un certain nombre ◀de▶ critères variables, mais jugés essentiels par ◀la▶ communauté elle-même, qui donne à celle-ci sa personnalité et ◀le▶ désir ◀d’▶exister et ◀d’▶être considérée comme une unité. » En aucun cas, ◀le▶ découpage régional ne devra établir ◀de▶ frontière au travers ◀d’▶une telle communauté.
3. ◀La▶ région doit bénéficier ◀d’▶un régime démocratique, qui implique ◀l’▶élection au suffrage universel ◀d’▶une Assemblée régionale délibérante et ◀l’▶existence ◀d’▶un exécutif régional responsable devant elle.
4. ◀Le▶ principe ◀de▶ ◀l’▶autonomie régionale s’applique à tous ◀les▶ domaines essentiels à ◀la▶ vie et au développement ◀de▶ ◀la▶ communauté.
5. ◀Les▶ accords et ◀les▶ conflits entre ◀les▶ régions, entre ◀les▶ régions et ◀les▶ États, entre ◀les▶ régions et ◀l’▶Europe, font ◀l’▶objet ◀de▶ procédures ◀de▶ concertation et ◀de▶ conciliation, incluant, en cas ◀de▶ nécessité, ◀le▶ recours à une Cour ◀d’▶arbitrage à ◀l’▶échelon européen.
6. Une deuxième Chambre européenne, à représentation régionale, donne aux régions ◀le▶ moyen ◀d’▶intervenir dans ◀la▶ politique ◀de▶ construction et ◀de▶ gestion ◀de▶ ◀l’▶Europe.