(1979) Tapuscrits divers (1980-1985) « Obstacles au nouvel ordre économique international (NOEI) en Europe du Centre (24 septembre 1979) » pp. 1-22

Obstacles au nouvel ordre économique international (NOEI) en Europe du Centre (24 septembre 1979)o

I. Introduction : les pièges du vocabulaire

Le titre que l’on m’a proposé de traiter, à savoir : Obstacles au nouvel ordre économique international dans les pays du centre de l’Europe me pose d’abord autant de questions que de termes utilisés : nouvel, ordre, économique, international, toutes expressions relevant en fait d’une mentalité occidentale à la fois révolutionnaire, rationaliste, matérialiste, nationaliste — à quoi j’ajouterai une question préalable quant au sens implicite du terme obstacles. Et pour finir, j’aurai à m’expliquer sur ce qui m’autorise — ou non — à parler au nom de l’Europe du Centre.

L’énoncé proposé évoque en moi des réactions précises, dont l’ensemble et les articulations vont sans doute définir l’essentiel du contenu de mon travail. Je les formulerai donc d’entrée de jeu, sans précautions diplomatiques, ou autres, en m’excusant du caractère quelque peu agressif qu’elles risquent fort de prendre, malgré moi, dans un rapport où il n’est pas toujours possible de nuancer suffisamment.

Je prendrai donc d’abord l’énoncé proposé, terme à terme, pour le soumettre à l’examen critique d’un Occidental très soucieux à la fois de la vraie vocation de sa culture et des intérêts supérieurs (écologiques, éducatifs, coutumiers et économiques) des peuples concernés par le projet NOEI.

Le titre même de l’enquête prête à une ambiguïté certaine : Les obstacles au NOEI dans telle ou telle région du monde, cela implique que ce qui fait obstacle devrait être écarté, supprimé, non pas considéré en soi, on its own merits, à des fins éventuelles de meilleure formulation du projet, voire de sa remise en question, ou même de son abandon éventuel. Le mot obstacle a généralement — en Occident — une valeur non seulement négative : celle d’un accident, mais péjorative. Il n’est pas un signe à prendre au sérieux, mais une résistance morbide à éliminer. Son premier devoir est de se laisser surmonter, dit un proverbe italien.

Or, en fait, je voudrais considérer ici le bien-fondé des résistances que beaucoup de bons esprits, en France, en Grande-Bretagne, en RFA, au Benelux, en Autriche et en Suisse, en Italie et en Grèce, opposent à l’énoncé même du projet : nouvel ordre économique international. Et je voudrais valoriser ces résistances, en les reliant aux systèmes philosophiques, sociaux ou politiques qui les motivent :

a) Nouvel me paraît doublement critiquable en ceci 1° que s’il n’y avait aucun ordre auparavant, son instauration subséquente ne saurait être dite « nouvelle » : elle serait inaugurale. Or qui peut soutenir que le « nouvel » ordre souhaité succéderait à un « ordre » préalable quelconque ? 2° La nouveauté, d’une manière générale et pour ainsi dire absolue (sans référence à un état — previous — antérieur bien défini) est devenue valeur en soi dans les pays européens, puis aux USA, au cours du xviii e siècle. Avec la création d’une centaine de New cités sur tous les continents — plus nombreuses mêmes que les Alexandries héllénistiques — , l’Occident n’a pas manqué d’assister à des rénovations d’allure politique dans les domaines les plus divers de la pensée et des beaux-arts : chaque école nouvelle se croyait autorisée à ridiculiser celle qui l’avait précédée, la déclarant non seulement insuffisante, mais nocive, sournoisement liée à des « abus » ou à des « superstitions » pas seulement d’ordre intellectuel ou artistique, mais en fait politique et social. La querelle des Anciens et des Modernes, déclenchée en France à la fin du xvii e siècle devint très vite, avec l’Encyclopédie française, puis avec le romantisme, la lutte entre l’obscurantisme et les Lumières puis entre la Réaction et la Révolution. D’où l’efficacité presque irrésistible de l’adjectif « nouveau » dès qu’une école, voire un auteur isolé, parvenait à l’accoler à son œuvre dans l’esprit du public.

Au xix e siècle et bien plus encore au xx e, grâce à l’invention de la publicité puis de l’effet surpotentialisant des mass médias sur celle-ci, la nouveauté est devenue synonyme de produit à acheter d’urgence, et exclusivement, déclassant tous les autres, les chassant du marché, avant-garde plus jalouse de nettoyer, d’éliminer, d’exorciser toutes traces du passé — du dépassé — que d’aménager réellement un espace social plus libre, un mode de vie plus juste ou plus heureux. Nouveau est devenu un terme valorisant en soi et par soi, absolument : il ne s’agit plus de discuter les mérites du nouveau, mais seulement de s’assurer le bénéfice incontesté du label, problème de publicité ou de bluff, non pas du tout de valeur, de justesse, de cohérence interne, ou simplement d’utilité.

b) Ordre. Le terme évoque, surtout à l’échelle planétaire, un réseau de structures juridiques et de contrats commerciaux, un système de référence monétaire, un appareil décisionnel fondé sur le pouvoir des États-nations et sur son respect absolu — dût cette condition le paralyser ou le réduire à néant — à quoi semble pouvoir ou devoir s’ajouter aujourd’hui une notion de système économique.

Le tout relève à l’évidence d’une mentalité typiquement occidentale, réductrice des diversités ou différences données par la géographie, l’histoire, à une uniformité aussi géométrisable, symétrisable et comparable que possible — voire toujours un peu plus que possible.

Forme de pensée et d’organisation du réel spécifiquement occidentale. L’opportunité de l’étendre et de l’imposer (sans avertir) au monde entier n’est nullement évidente. Elle ne se défend que dans la seule mesure où elle « va de soi » — ce qui n’est pas le cas aux yeux de ceux que j’essaie de représenter ici.

La notion d’un ordre planétaire s’appliquant à des phénomènes à la fois économiques, ethniques et culturels apparaît dangereusement arbitraire et réductrice ; elle évoque la vision du monde du bandit Procuste.

Au surplus : tout programme uniformisant — qu’il soit ou non conscient chez les agents de son application — joue en faveur du modèle occidental.

Peut-être est-il plus sage de penser que l’humanité ne forme pas un système, mais plusieurs ensembles plus ou moins cohérents, plus ou moins fermés, en relations aléatoires, de sorte qu’un malheur puisse être compensé plutôt que répercuté à l’infini ; ou puisse être circonscrit, comme un incendie.

c) Économique. Cet adjectif est bien sûr le plus sûr indicateur de l’origine occidentale du projet, ou, à tout le moins, de sa première formulation (ce qui revient à peu près au même.)

L’Asie n’a jamais cru à l’objectivité des relations économiques, à leur déterminisme intrinsèque. Cette croyance est purement européenne (xvii e siècle « matérialiste », xix e siècle saint-simonien, xx e siècle marxiste). Marx est sans doute le penseur le plus irréductible à toute forme de pensée asiatique, africaine, amérindienne ou polynésienne. En dehors du complexe européen du xix e siècle, il est proprement inconcevable.

Un consensus mondial ne peut être conçu — rêvé, imaginé, projeté dans l’utopie — que sur la base d’un dialogue des cultures et de leurs valeurs décisives. De cela seul doit dépendre l’économie, dans la mesure où elle sert l’homme, au lieu de l’asservir.

d) International. Le terme implique que l’ordre des nations existe, qu’il est réel, qu’il doit et peut servir de fondement à tout « ordre » mondial imaginable.

Or, un « ordre » mondial — et d’abord continental — ne saurait être imaginé sur la base d’éléments par définition hostiles à toute composition (au double sens du terme), et décidés à faire valoir leurs intérêts coûte que coûte : c’est l’élément national qui est responsable des deux grandes guerres mondiales du xx e siècle. Qui dit « international » reconnaît par là même le fait national et sa légitimité, c’est-à-dire ce qui rend impossible, par exemple, l’union fédérale de l’Europe. Il n’y aura jamais d’union continentale sur la base de cet obstacle à toute union (autre que militaire) qu’est l’État-nation — modèle typiquement occidental, élaboré par la Révolution française et mis au point par Napoléon en vue de la guerre, c’est-à-dire centralisé à l’extrême, uniformisé et uniformisant. La guerre étant l’ultima ratio de l’État-nation, on ne voit pas comment pourrait en sortir la paix, qui est la seule preuve du règne d’un ordre humain.

Résumé des objections préalables

La crise actuelle dans les relations entre l’Occident et le tiers-monde (ou entre le Nord et le Sud), crise qui explique le recours de toutes parts, à quelque forme de NOEI, a été provoquée au xx e siècle par les séquelles du colonialisme, lui-même entrepris par les trois plus anciens États-nations pour la raison fondamentale que tout État-nation en soi est une structure colonialiste : elle consiste à soumettre les peuples conquis (par la force ou par la ruse) non seulement à la loi du vainqueur, mais à ses formes de pensée, à sa mentalité, à ses modes de travail. C’est ce que les rois de l’Île-de-France, de Castille-Aragon et d’Angleterre imposèrent aux nations conquises à l’intérieur de l’Hexagone, de la Peau de Vache ibérique ou des îles de la Grande-Bretagne — nations bretonne, basque, catalane et occitane, écossaise, irlandaise et galloise — , avant d’appliquer les mêmes procédés aux peuples des trois Amériques, de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique.

Les conflits qui opposent aujourd’hui Occident et tiers-monde ou Nord et Sud, sont de structures homologues aux conflits qui opposaient naguère colonisateurs et colonies. Les Européens, par exemple, qui étaient encore il y a cent ans aux 4/5e agriculteurs et villageois, ont été colonisés par la technique et l’urbanisme tout comme les Africains, les Indiens, les Brésiliens par l’industrie, les idéologies et la pharmacopée occidentale.

Nous sommes tous colonisés. Européens et peuples du tiers-monde, par un certain modèle mental qui a permis la civilisation industrielle scientifico-technique, et qui suppose : rationalisation, centralisation et quantification, c’est-à-dire réduction de tout, hommes et choses, à du calculable et manipulable à partir d’un centre ; espace géométrisé à exploiter ; États-nations centralisés ; centrales énergétiques ; guerre nucléaire.

Une seule différence importante : le système inventé en Europe a été essayé d’abord sur les peuples européens, et avec quel succès, pendant des siècles. Quant au tiers-monde, à peine libéré de notre présence bouleversante (mais si brève aux yeux de l’Histoire) il s’est mis à revendiquer le pire de notre héritage et le moins assimilable par ses traditions : le modèle de l’État-nation, le modèle de la productivité de l’industrie lourde.

Voilà qui explique mes objections au vocabulaire dans lequel s’expriment, depuis une vingtaine d’années, les auteurs de plans de NOEI : la plupart ont recours — généralement à leur insu — au vocabulaire colonisant qui est celui des États-nations centralisés, et qui transporte des valeurs, des structures, des modes d’évaluation et des mentalités qui, une fois acceptées, rendent inopérante la recherche de solutions « différentes ». Si vous parlez ce langage, les jeux sont faits, les conclusions préfabriquées.

Un dernier mot, dans cette mise en garde qui me paraît indispensable :

Je ne me sens à aucun titre autorisé par l’Europe du Centre pour exprimer son opinion sur le NOEI.

D’abord parce que l’Europe du Centre n’est pas une entité juridique, ni de pensée et encore moins d’action, ensuite parce que beaucoup, dans nos pays, pensent autrement que je ne l’exprime ici : citons simplement les gouvernements et leurs clients directs, les grandes industries, les syndicats patronaux et communistes… Les obstacles que, pour leur part, il leur arrive d’opposer en fait au NOEI sont d’un tout autre ordre : ils ne relèvent pas de la nature même du projet, dont ils acceptent tacitement les prémisses théoriques et les implications économiques. S’ils opposent sur tel ou tel point du programme des résistances ou des refus, ce n’est en vérité qu’au nom d’intérêts économiques nationaux, ou de la politique d’un État, ou des plans de l’agrobusiness. Il s’agit là de problèmes relevant uniquement des catégories ou des mentalités correspondant au vocabulaire dont je viens de montrer l’action et l’efficacité secrète.

Mais je sais que je parle ici au nom d’une multitude de mouvements écologistes, régionalistes et fédéralistes européens, auxquels s’ajoutent nombre d’économistes d’avant-garde et les chercheurs de la plupart des instituts universitaires d’études du « développement », des relations intercontinentales, et du « dialogue des cultures ».

II. Rôle de l’Europe de l’Ouest dans la problématique du NOEI

L’Europe du Centre, ou peut-être vaut-il mieux dire l’Europe de l’Ouest — en tenant compte du fait que le terme traditionnel de Mitteleuropa englobe aujourd’hui la majeure partie de l’Europe de l’Est, est l’élément fondamental de la problématique considérée, car :

— c’est elle, par le Portugal et l’Espagne, puis par l’Angleterre et la Hollande, puis par la France, qui a découvert le monde, qui l’a colonisé, et qui a propagé sur les cinq continents la formule politique de l’État-nation. C’est elle, plus tard, qui a créé, cette fois-ci avec les pays du Nord, du Centre et de l’Est, la science, la technologie, le commerce intercontinental, qui a élaboré les idéologies dont toute la Terre se réclame aujourd’hui (contre elle, d’ailleurs !), et qui a, par tout cela, causé la crise mondiale actuelle — d’où les problèmes que le NOEI se donne pour tâche de résoudre !

Reprenons cela avec quelques degrés supplémentaires de précision.

1. « C’est l’Europe qui a découvert la Terre entière, et personne n’est jamais venu la découvrir ». Cette phrase, qui figure dans mon livre L’Aventure occidentale de l’homme 9, et qu’André Malraux, quinze ans plus tard, mettra dans la bouche du général de Gaulle10, n’est pas un jugement de valeur, mais la constatation d’un fait, qui a fondé la possibilité de concevoir une civilisation universelle.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’une culture comme celle de l’Inde brahamanique, interdisant aux membres de la caste supérieure de quitter le territoire de l’Inde, tout le reste étant impur, et une civilisation comme celle de la Chine qui tenait tous les non-Chinois pour des sous-hommes, ne pouvaient concevoir l’idée de « genre humain ».

C’est l’Europe qui a colonisé, exploité, civilisé à sa manière et souvent à leur corps défendant la plupart des peuples des quatre autres continents. Il serait faux de condamner, voire de nier purement et simplement, l’action civilisatrice, c’est-à-dire pacifiante, des lois apportées par « les Blancs » dans des contrées où jadis le massacre massif, le génocide, étaient érigés en procédés sacrés ou simplement réalistes de gouvernement.

C’est l’Europe qui a propagé au xx e siècle la formule de l’État-nation jalousement souverain, toujours dressé sur ses ergots quand on lui propose de négocier un contrat de coopération ou de solidarité, et subordonnant tout, en dernier ressort, à son « prestige », dont la composante principale est la puissance de l’armement dont il dispose. L’État-nation de modèle jacobin-napoléonien, imité sans question par plus de 150 autres pays au cours des xix e et xx e siècles, est la forme la plus facilement transférable et imitable d’organisation sociale et politique d’une collectivité ; mais c’est aussi à cause de ses liens originels et structurels avec la guerre, celle qu’il était le plus dangereux d’imiter au siècle où les moyens de la guerre (armements nucléaires, chimiques, biologiques) ont dépassé le seuil critique de tolérance pour l’espèce humaine et son environnement.

Certes, l’Europe a inventé au cours des dix-sept siècles de sa christianisation progressive (et encore très incomplète) la féodalité puis la démocratie, le socialisme, l’État, la nation puis l’État-nation, dont le stade ultime est l’État totalitaire, qui est l’État de guerre en permanence, — et, à partir du xvi e siècle, la science, la technique, l’industrie, le commerce intercontinental, et les idéologies capitalistes et marxistes qui ont permis, accompagné et prolongé ces créations. Mais si ces modèles continuent d’être copiés par le reste du Monde, sans critique fondamental et sans innovation, voire sans rupture créatrice, ils risquent d’aboutir très vite au déclenchement d’un phénomène de rejet de l’espèce humaine par la nature trop longuement provoquée, empoisonnée, pillée, au point que l’homme est en train d’y détruire les conditions mêmes de la vie, et en tout cas de la vie de son espèce.

Telles étant les responsabilités de l’Europe — positives et négatives, créatrices et destructrices, libératrices et oppressives — un fait trop peu connu doit être ici mis en lumière : c’est que l’Europe est aujourd’hui la seule partie du Monde radicalement divisée dans ses jugements quant à la nécessité, la possibilité et la désirabilité d’un ordre économique mondial, unique, cohérent, rationnel, c’est-à-dire de modèle occidental moderne.

2. Mais une question se pose alors : si les Européens sont profondément divisés sur ce problème, ne serait-ce pas qu’ils obéissent à au moins deux traditions ou mentalités différentes, opposées même ? — Bien sûr ! et c’est là le trait d’histoire fondamental que le tiers-monde ignore le plus généralement, et que les Européens eux-mêmes, dans leur immense majorité, refusent passionnément de reconnaître.

Il y a deux traditions européennes, qui se combattent à des degrés de violence divers dans tous nos peuples.

Les Européens du xx e siècle ont été formés (sans le savoir) par des structures de pensée et des mentalités typiques auxquelles obéissent leurs coutumes et leurs vues sur le Monde — et qui toutes peuvent être rapportées à deux grandes généalogies culturelles (religieuses, philosophiques, éthiques, politiques, et donc aussi économiques en résultante).

a) La tradition gréco-chrétienne (Socrate, saint Paul) : communautaire, libertaire (opposant la Foi à la Loi, la « liberté des enfants de Dieu » au légalisme) et solidariste, qui aboutit à la démocratie fédéraliste par Augustin, Thomas d’Aquin, Giordano Bruno, Érasme, Calvin, Althusius, William Penn, Locke, Rousseau, The Federalist, Tocqueville, Proudhon et Bakounine, le socialisme et l’anarchie, les fédéralistes européens des années 1950, les écologistes et les régionalistes des années 1970…

b) La tradition romaine impériale, qui aboutit à la dictature totalitaire par les étapes historiques et doctrinales suivantes : premiers États nationaux (France de Philippe le Bel vers 1300 ; Espagne, sept royaumes aboutissant à Portugal d’un côté et de l’autre, Navarre, Aragon, Castille, réunis en 1512 ; Grande-Bretagne dès le ix e siècle, puis à partir de Hastings 1066). Machiavel, guerres de religion, Jean Bodin et la théorie du Prince, monarchies absolues, Hobbes, Hegel, Napoléon, Marx, le colonialisme, l’étatisme centralisateur, Lénine puis les fascismes et le stalinisme, le national-socialisme puis les régimes à dictature militaire dans le monde entier (sauf en Europe et en Amérique du Nord au moment où j’écris ceci.)

3. Le NOEI, tel que l’ont défini les nombreux auteurs qui en ont porté le souci depuis une dizaine d’années comporte peu de variantes importantes, mais en revanche de nombreux caractères communs dont les principaux sont les suivants :

— l’usage rationalisé des biens matériels fournis par la nature ou produits par l’industrie (de type occidental).

— l’égalisation (ou la péréquation) recherchée dans la répartition des ressources naturelles.

— la division du travail à l’échelle planétaire.

— l’organisation des échanges entre continents et grandes régions.

— la gestion communautaire des ressources naturelles.

— le développement de banques mondiales.

— l’abaissement des barrières douanières.

— les transferts de technologie.

— la souveraineté sur les ressources du sol et la restitution des produits de l’exploitation (coloniale), etc.

— et enfin, l’intégration à un « type de société qui serait l’expression d’une conscience unifiée de l’humanité » (Herrera).

4. De ces caractéristiques communes à tous les projets d’organisation planétaire de l’économie résulte à l’évidence — comme le soulignent la plupart des auteurs consultés — qu’il s’agit en fait de l’extension mondiale d’un modèle occidental.

Or, tout modèle occidental, quelque assoupli, adapté, différencié qu’on le veuille, se voit inévitablement marqué par l’utopie — si longtemps acceptée sans nul esprit critique — de la croissance industrielle illimitée servie par une production illimitée. Croyance évidemment réfutée par le seul fait que la Planète est une sphère finie, mais que l’Occident — c’est-à-dire l’Europe du xix e siècle, les USA du xx e, puis l’URSS du « Nous ferons mieux que l’Amérique » a répandu de 1848 à 1968, sous le nom de Progrès, et que tous les peuples de la Terre ont adopté, comme les jeunes Européens ont adopté le jazz, le rock et les blue-jeans.

Le seul fait, incontestable, que le « nouvel ordre international » soit presque toujours qualifié « d’économique » est parfaitement révélateur de son origine et de ses buts réels : l’extension à tous les peuples du monde des croyances scientistes et des mesures matérialistes (remplaçant en fait les « valeurs » morales, philosophiques ou religieuses) de l’Europe bourgeoise du xix e siècle et de l’Europe stato-nationale (capitaliste ou marxiste) du xx e siècle.

Il est clair que nous sommes ici en présence d’un schéma bien connu de l’histoire des idées politiques européennes : c’est celui que l’on qualifie chez les doctrinaires du PC et chez les marxologues distingués de « marxisme vulgaire ». Il consiste à poser que l’infrastructure économique (sans aller beaucoup plus loin dans l’analyse de ces termes) « détermine » la superstructure politico-culturelle.

(Une des victimes les plus célèbres de cette illusion aura été Jean Monnet, dont toute l’action pour l’union de l’Europe a reposé sur ce postulat fondamental : celui qui commande les mécanismes de la production industrielle — charbon et acier dans le cas de la première Communauté instituée grâce à J. Monnet, la CECA — tient du même coup les réalités politiques. Il a fallu les décrets arbitraires du général de Gaulle se retirant pour un temps du Marché commun, non par raisons d’intérêt, mais au contraire par raisons de prestige, pour que « l’illusion de Jean Monnet » soit publiquement et concrètement réfutée, au grand dam des efforts les plus sincères pour unir les pays européens sur la base de leurs intérêts les mieux compris.)

Devant ce modèle scientiste, matérialiste, quantitatif, deux réactions sont toujours possibles :

— celle, positive, des élites sociales et du personnel détenant les pouvoirs dans les États-nations constitués en Europe à partir de la Révolution française (1792) et de Napoléon (1805-1815), et dont la formule s’est propagée sur toute la Terre au xx e siècle (ils sont environ 160 aujourd’hui).

— celle critique, sceptique, contestatrice, objectivement ou violemment négative, au nom d’un autre idéal, des nouvelles générations européennes — écologistes, régionalistes, fédéralistes.

De quel autre idéal s’agit-il ?

D’un modèle de société qui, sans imaginer la suppression définitive de tous les conflits, dispose et distribue les pouvoirs de telle manière que même si l’un ou l’autre se trompe gravement, il ne puisse pas en résulter de catastrophe majeure pour l’ensemble continental ou mondial. Question de taille : régions substituées à États-nations ; défense locale à l’échelon communal ou régional substituée à une dissuasion nucléaire à l’échelon national ou continental.

5. Les États-nations, en tant que tels, acceptent les présupposés économistes d’un « ordre » mondial soumis aux impératifs de la rentabilité, de la productivité et de l’innovation technologique à tout prix, fût-ce au prix des équilibres culturels et naturels les plus précieux pour une communauté.

C’est qu’ils s’y reconnaissent, qu’ils y retrouvent les recettes de leur comportement politique vis-à-vis de leurs minorités ethniques ou de leur propre peuple considéré en tant que « consommateurs » ou/et « demandeurs d’emploi ».

Mais cette acceptation tacite, non critique, des finalités de la société industrielle scientifico-technique en croissance illimitée — ou plutôt ce refus de les mettre en question — n’implique pas que les moyens d’une politique d’organisation mondiale de l’économie vont être consentis par les États-nations occidentaux (capitalistes et communistes identiquement).

Au contraire : chacun de nos États (que ce soit à l’Est ou à l’Ouest) s’empresse de déclarer, devant chaque ensemble de mesures communes proposées, qu’il n’acceptera :

1° que ce qui sert ses propres intérêts,

2° que ce qui n’empiète pas, si peu que ce soit, sur ce qu’il considère comme relevant de sa souveraineté nationale absolue.

Car nos États-nations ne regardent jamais les réalités mondiales sous l’angle des solidarités à établir pour le salut commun, mais seulement sous l’angle de l’influence qu’ils peuvent exercer dans tels continent ou subcontinent, influence évaluée en termes de prestige, de balance commerciale, et en dernier ressort (mais c’est rarement avoué) de potentiel militaire. La tradition de Machiavel et de Hobbes, modernisée par Lénine et Mussolini, ne prépare pas les peuples ni leurs dirigeants à considérer la solidarité internationale comme autre chose qu’une utopie « généreuse », donc ridicule, quand il ne s’agit pas d’une sournoise manœuvre suscitée par l’Étranger jaloux contre l’intégrité de notre nation. (Exception : en cas de crise très grave, la « solidarité » continentale peut servir de nom respectable à une stratégie de mafia, bien entendu transnationale.)

L’histoire des trois dernières décennies en Europe de l’Ouest fournit d’abondantes illustrations à la sévérité de ces remarques. (Mafia de l’énergie nucléaire, échec de la coopération agricole, échec des conférences sur le droit de la mer, refus au nom de la souveraineté nationale de mesures de protection de l’environnement, rejet au nom de la défense nationale de toute limitation des armes nucléaires ou de leur dissémination.)

Les mêmes réflexes stato-nationalistes qui bloquent la fédération des peuples européens (en dépit du « lip service » que lui payent tous les ministres et chefs d’État) multiplieront nécessairement les obstacles à tout établissement d’un « nouvel ordre économique international », en dépit de toutes les résolutions adoptées par les congrès, colloques et conférences internationales sur le NOEI, ses finalités, ses conditions, ses voies et moyens de réalisation.

Les États-nations — comme les peuples, on peut le craindre — ne comprendront jamais qu’un seul langage : non pas celui de nos discours les plus persuasifs ni de nos livres les mieux documentés, mais celui des désastres consommés, des crises déclarées à grand bruit, des pénuries flagrantes. Seule, la pédagogie des catastrophes 11 est capable de leur enseigner quoi que ce soit qui diffère tant soit peu des utopies du Progrès matériel, encore partout régnantes en dépit des démentis que leur infligent tous les jours toutes les réalités du temps présent.

6. Inversement, les forces nouvelles, encore minoritaires, mais peut-être décisives pour un assez proche avenir, dont on peut observer l’émergence dans les pays de l’Europe de l’Ouest, rejettent la plupart des présupposés du modèle occidental de NOEI, — mais en revanche, favorisent, cultivent et promeuvent les seules valeurs qui permettraient l’éventuelle réalisation d’un ordre planétaire digne du nom ; valeurs de solidarité, de coopération concrète, et de répartition des tâches, selon leurs dimensions, aux différentes communautés de taille correspondante : locales, communales, régionales (au sens de sub- ou transnationales), nationales, continentales, mondiales.

Aux yeux des écologistes, régionalistes et fédéralistes de l’Ouest européen, le NOEI apparaît comme une conception rationnelle visant à une sorte de péréquation à l’échelle mondiale, à une comparabilité des quantités, pourcentages, prix, heures de travail, pouvoirs d’achat, calories, etc., toutes notions spécifiques de l’Occident moderne (industriel). Autant dire que le NOEI (officiel, admis par les gouvernements) cherche à remédier à la crise mondiale à l’aide de certains des instruments qui l’ont créée et des attitudes mentales qui empêchent les États-nations de réaliser ce « nouvel ordre ». Ces deux derniers mots d’ailleurs font problème, non seulement pour les raisons exposées au début de ce papier, mais parce que les caractéristiques du NOEI (voir les 33 thèmes proposés par le papier de présentation d’UNITAR) sont celles d’une mise en ordre plutôt que d’un ordre véritable, lequel supposerait un principe d’harmonie interne (moral, spirituel) qui n’apparaît pas. L’ordre préconisé est conçu comme cadre et programme, faisant intervenir à tout instant des notions d’égalité et d’égalisation, de réduction à des quantités comparables, à de l’homogène, à de l’échangeable ou interchangeable, ce qui va en sens contraire de la revendication générale des nouvelles générations, telles que le droit à la différence, à l’identité irréductible, tant personnelle que communautaire.

Les écologistes, les régionalistes, les fédéralistes, rejettent tous les notions de productivité sans freins sociaux ni culturels, de rentabilité qui ignore les coûts humains et naturels, de potentiel militaire qui ne veut compter qu’en mégatonnes d’explosifs non pas en volonté d’autonomie des groupes, des communes, des régions, c’est-à-dire d’une population de citoyens libres et responsables.

Ils rejettent les présupposés de tout modèle occidental impliquant la substitution de l’État-nation aux responsabilités civiques, seuls gages des libertés personnelles et de la vitalité des communautés.

Ils rejettent les calculs « d’experts » fondés sur une consommation gaspilleuse d’énergie qui serait censée doubler tous les 10 ans selon certaines projections des années folles 1970-1973. Ils ne croient plus à la fatalité d’une « explosion urbanistique » telle qu’on l’anticipait allègrement dans les années 1960. Ils ne veulent pas d’un modèle occidental de « Progrès » s’imposant au Monde par la logique inexorable d’une croissance industrielle illimitée.

Ils savent, au surplus, que l’homme ne peut être libre que là où il est responsable ; et qu’il ne sera jamais responsable dans les villes énormes et les collectivités gigantesques des États-nations actuels. Ils veulent donc de petites unités sociales, économiques, civiques. Ils veulent des régions non des nations. Symboliquement, ils veulent des communautés mesurées par la portée de la voix d’un homme criant sur l’agora (Aristote), de telle manière que l’on puisse lui répondre, dialoguer ; ce que l’on ne peut pas faire avec les radios et les télévisions d’État, qui parlent à sens unique à des gens passifs, incapables de répondre donc d’être responsables au sens étymologique du mot.

L’avenir et la possibilité d’un véritable ordre mondial et de ses implications économiques nous paraissent donc dépendre largement de l’attitude civique, politique et culturelle ou spirituelle de nos contemporains en Occident, et d’abord en Europe.

III. Pour un modèle européen très différent

Telles étant les responsabilités de l’Europe, comment donner une réponse positive à ce qui motive en profondeur la recherche d’un NOEI, bien au-delà des termes inadéquats de sa formulation présente ?

Thèse. — Ceux qui ont entrepris de créer l’Europe unie pensent que le modèle occidental qui règne aujourd’hui sur toute la Terre et qui vise à la Puissance des collectivités nationales ne peut conduire qu’au désastre. Il est urgent qu’il soit remplacé par un modèle qui vise à la Liberté.

La réalisation de ce second modèle par l’Europe de l’Ouest leur paraît seule capable de libérer nos contemporains de la fascination qu’exerce sur eux le modèle industriel, non seulement dans le tiers-monde, en URSS, et depuis peu en Chine, mais en Europe même.

1. Il nous paraît dangereux de confondre d’une part les effets d’une interdépendance subie (constamment invoquée dans les textes officiels des Nations unies et de leurs organisations spécialisées relatifs aux problèmes de coopération globale et de NOEI, avec, d’autre part, les prodromes d’une solidarité voulue.

Tabler sur l’interdépendance croissante des pays du Nord et de ceux du Sud pour faire advenir le NOEI, c’est impliquer que l’on va poursuivre, dans des conditions toujours plus difficiles, il est vrai, et avec des marges de manœuvre toujours plus étroites, contraignant à des alternances d’agressivité et de défensive toujours plus serrées, une politique dont les finalités et le moteur restent la Puissance (stato-nationale) et dont l’aboutissement logique (peut-être le vœu secret) n’est autre que la guerre.

Au contraire, viser à la solidarité des autonomes c’est inaugurer une politique dont les finalités et le moteur sont la Liberté des personnes (et non le bon plaisir des collectivités armées) et l’autodétermination des peuples (au lieu de la « souveraineté » des États-nations.)

2. Les moyens d’une telle politique ?

À notre sens, rien ne servirait de proposer (ou pire : d’essayer d’imposer) une solidarité planétaire, s’il n’y a pas d’exemple, dans les pays techniquement développés, d’un ordre social solidaire, coopératif, libertaire, et déjà réalisé quelque part, de préférence là même où le mauvais modèle s’était constitué.

Le Dr Albert Schweitzer disait : « L’exemple vécu n’est pas le meilleur moyen d’influencer les hommes. C’est le seul. »

L’avenir d’une solidarité globale des autonomes, seule alternative au désastre économique planétaire et à la guerre nucléaire, se trouve donc lié à l’avenir d’une fédération des régions ethniques, écologiques et civiques de l’Europe occidentale, comme exemple vécu d’un modèle post-industriel capable de libérer les peuples du tiers-monde de la fascination du productivisme machiniste.

3. L’avènement d’un régime de solidarité des autonomes ne saurait être l’affaire des économistes.

Cette instauration implique en effet une philosophie, une prise en compte des valeurs fondamentales et la mise à leur service de dynamismes économiques aujourd’hui subordonnés au seul profit (dans l’immédiat), mais d’une manière plus profonde et à plus long terme, ordonnés à la guerre et à sa préparation continue par les États-nations, aussi bien qu’à sa poursuite d’ores et déjà dans de nombreux domaines, économiques, notamment.

4. L’« ordre » souhaitable de la solidarité devrait se fonder dans une élaboration concertée (entre les Occidentaux et le tiers-monde) :

a) des productions alimentaires, diversifiées et optimalisées par régions, bien plutôt qu’échangées d’un continent à l’autre ;

b) des techniques douces de production d’énergie non polluantes et distribuées quant à leurs sources sur l’ensemble du territoire (énergies solaire, éolienne, hydraulique et biologique) ; ainsi qu’un parc d’outils et d’instruments nouveaux, mieux adaptés aux sols et aux hommes que les machines à moteur et consommant beaucoup moins d’énergie ;

c) du régime de l’emploi, restructuré selon les possibilités nouvelles crées par a) et b), un développement nouveau de l’artisanat et des techniques de réparation et d’entretien ;

d) des procédures d’autogestion partant du niveau communal d’entreprise locale, puis régionale, puis fédérative au niveau national parfois subcontinental ou continental le plus souvent.

Des agences continentales fourniraient toutes les informations nécessaires pour l’exercice de ces activités.

Des agences mondiales pourraient remplir une fonction décisive dans des domaines tels que la protection des océans, l’exploitation concertée et la répartition des matières premières, la lutte contre les famines, pour ne citer que les plus urgents.

5. Des modifications de structure politique me paraissent préconditionner ces développements. Il devient de plus en plus évident que la formule de l’État-nation centralisé à souveraineté absolue est devenue incompatible avec la survie du genre humain, ne fût-ce qu’en raison de la puissance destructrice des armements dont ces États disposent pour défendre ou pour étendre cette souveraineté. Par quoi les remplacer ?

Nous l’avons dit plus haut : les petites unités territoriales, urbaines, régionales, sont les seules qui permettent au citoyen d’exercer ses responsabilités, donc de jouir de ses libertés : à partir de ces unités régionales ou « espaces de participation civique » doit et peut se construire un « ordre » acceptable par l’ensemble des populations de la Planète.

L’avantage des petites unités sur les grands États est lisible en clair dans toutes les statistiques des Nations unies et de l’OCDE, où très régulièrement les plus petits pays viennent en tête pour tous les indicateurs de développement non seulement quantitatif (revenu par tête, équipements ménagers, etc.), mais aussi qualitatif. (Le nombre de prix Nobel des sciences par rapport au nombre d’habitants en donne un bon exemple : la Suisse est largement en tête, suivie par le Danemark, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède.)

Bien plus. La substitution progressive des petites unités socio-économiques aux États-nations centralisés se trouve être à la fois un gage de paix, d’impossibilité de faire de grandes guerres, et un gage d’ouvertures nouvelles pour l’emploi, pour la défense sur place, et pour l’aide technique aux régions en crise.

6. Dans son dernier rapport, la World Bank (1979), contre toute attente, prend parti pour le modèle de développement que nous avons ici préconisé, et que défendent par leurs livres et leur militancy des hommes tels que René Dumont, Ivan Illich, E. F. Schumacher, L. Mumford.

Il me paraît tout à fait remarquable que ces auteurs européens et américains du Nord naguère encore tenus pour des « contestataires » ou des « marginaux » dans les milieux gouvernementaux et parmi les experts internationaux, soient parvenus à faire admettre par les responsables de la World Bank que nos technocrates ne peuvent qu’aggraver les problèmes des pays en développement. Le tiers-monde devrait prêter la plus vive attention à des déclarations d’une telle portée.

7. Mais parmi les conditions préalables et sine qua non de tout établissement d’un « ordre » planétaire digne de ce nom, ou de ce que j’ai nommé la solidarité des autonomes, l’élément décisif est sans nul doute possible l’élimination de l’obstacle principal et final que constitue la guerre, sa préparation et les stratégies économiques qui implique cette préparation.

Le problème du NOEI ne sera jamais résolu sur les plans économique, technologique, social et culturel, tant qu’il restera posé par l’existence même des États-nations chargés de le résoudre.

Qu’il s’agisse de l’exploitation aberrante des ressources non renouvelables de la Terre ; de la prétendue crise d’énergie et du foisonnement des centrales nucléaires ; de la destruction des forêts et du plancton océanique (c’est-à-dire de l’oxygène nécessaire à notre vie), des famines ; de la désertification, de l’alimentation ici pléthorique, polluée, cancérigène, et là déficiente, alors que l’humanité produit, rien qu’en céréales, de quoi fournir 3000 calories par jour aux 4 milliards et demie d’individus qui la composent, tout se ramène, en dernière analyse, à la politique délibérée des États-nations souverains et à leurs stratégies orientées en fonction de la préparation à la guerre.

C’est pourquoi le seul moyen de faire aboutir les plans de solidarité des autonomes est de régler d’abord le problème du désarmement général.

Mais le seul moyen de faire aboutir les efforts demeurés jusqu’ici plus que vains, parce que dirigés par les États-nations eux-mêmes, en faveur du désarmement général, c’est de substituer à la formule de l’État-nation (né de la guerre et pour la guerre) une formule d’organisation communautaire, régionaliste et fédéraliste de nos sociétés.

Or on ne peut imaginer qu’un seul moyen non catastrophique d’imposer cette nouvelle formule communautaire : c’est de produire un exemple probant de sa réalisation, quelque part sur la Terre.

Et l’on ne voit guère qu’un seul continent où cette réalisation paraisse possible dans un avenir assez prochain : c’est l’Europe, c’est-à-dire le continent qui a donné naissance à l’État-nation, qui a été le premier à en subir les effets destructeurs de toute communauté, et des équilibres entre l’homme et la nature, le continent qui a donc toutes raisons d’être le premier à produire les anticorps du virus qu’il a sécrétés.