La▶ maîtrise sociale des besoins (avril-juin 1980)bv bw
1. Toute tentative ◀de▶ maîtrise des besoins — qu’elle se veuille sociale, ou scientifique, économique ou politique, implique que ◀l’▶on s’entende sur ◀la▶ nature des besoins humains, leur consistance, leur permanence et leur variabilité.
2. ◀Les▶ besoins matériels, physiologiques et moraux ◀d’▶un individu humain ◀d’▶âge moyen (dans telle ou telle communauté) varient en quantité et en qualité selon ◀les▶ temps, ◀les▶ lieux, ◀les▶ coutumes, ◀les▶ modes, et ◀les▶ croyances ; — selon ◀les▶ techniques, ◀les▶ échanges ◀de▶ biens ou ◀d’▶informations ; — selon ◀les▶ combinaisons et permutations ◀de▶ ces facteurs ; — enfin selon ◀les▶ finalités que se donnent ◀les▶ peuples, voire à ◀l’▶intérieur ◀d’▶un même peuple et à ◀la▶ même époque, ◀les▶ individus exemplaires, ceux qu’on imite ou qui déterminent nos aspirations. Je me bornerai à quelques exemples topiques ◀de▶ ces variations.
3. Exemples ◀de▶ variations des besoins selon ◀les▶ temps et ◀les▶ lieux : depuis quand ◀les▶ Européens ont-ils besoin ◀de▶ pommes de terre ? ◀de▶ café ? ◀de▶ tabac ? ◀de▶ tomates ? ◀de▶ soja ? ◀de▶ pétrole ? ◀d’▶uranium ?
Quand ◀la▶ maîtresse ◀d’▶un roi lui adresse ◀l’▶apostrophe fameuse : « ◀La▶ France ! Ton café fout ◀le▶ camp ! » le premier lycéen français venu sait qu’il ne s’agit pas ◀de▶ Saint Louis ni ◀d’▶Henry IV, mais du xviiie siècle. (◀Le▶ café ne fut introduit en Europe, à Marseille, qu’en 1654.)
Au milieu du xviiie siècle, Condillac écrit : « ◀Les▶ pommes de terre seraient un luxe sur nos tables si nos champs n’en produisaient pas, et qu’il fallût ◀les▶ faire venir à grands frais ◀de▶ ◀l’▶Amérique septentrionale, ◀d’▶où elles viennent originairement. » Parmentier venait de faire accepter par ◀la▶ France, longtemps réticente, ◀la▶ culture ◀de▶ ce tubercule importé en Europe depuis deux siècles déjà. Dès ◀le▶ xixe siècle, ◀la▶ pomme de terre est devenue l’un des besoins primordiaux ◀de▶ ◀l’▶alimentation ◀de▶ base des Européens.
4. Exemple ◀de▶ variations des besoins selon ◀les▶ techniques et ◀la▶ mode. En 1890, ◀le▶ dictionnaire allemand Brockhaus définit ainsi ◀l’▶automobile : « nom qui a quelquefois été donné à ◀de▶ curieux véhicules mus par un moteur à explosion… Cette invention, aujourd’hui oubliée, n’a connu qu’échecs et désapprobation des autorités scientifiques ». Mais en 1899, ◀le▶ jeune Henry Ford fonde une entreprise ◀de▶ construction ◀d’▶automobile à un moment où, note-t-il dans Ma Vie : « il n’y avait pas ◀de▶ demande pour ◀les▶ automobiles » ; voire « une répugnance du public devant cette machine jugée laide, sale, bruyante, et qui met en fuite ◀les▶ chevaux et ◀les▶ enfants ». En quelques décennies, par ◀les▶ procédés publicitaires que ◀l’▶on sait, Ford va changer tout cela, c’est-à-dire va changer ◀la▶ nature même des besoins ◀de▶ ◀l’▶homme du xxe siècle en faisant passer au premier rang ◀le▶ plus artificiel ◀de▶ tous et le dernier venu dans ◀l’▶histoire.
En 1909, il vend 18 000 voitures, en 1919, un million. Aujourd’hui ◀les▶ USA en produisent 12 millions par an, ◀l’▶industrie automobile (General Motors) et ses annexes, ◀les▶ multinationales pétrolières (Exxon), déterminent ◀la▶ conjoncture industrielle mondiale. ◀L’▶auto, qui fait près de 300 000 morts et 13 millions ◀de▶ blessés par an, et qui a valorisé ◀le▶ pétrole au point ◀d’▶en faire ◀le▶ problème no 1 des années que nous vivons, est devenue ◀le▶ besoin n° 1 ◀de▶ ◀l’▶homme occidental, que ◀l’▶on voit trop souvent prêt à se priver ◀de▶ tout pour ◀l’▶acquérir.
5. Exemple ◀de▶ variations ◀de▶ besoins selon ◀les▶ croyances : Comparez ◀le▶ budget ◀de▶ ◀la▶ viticulture en France, Espagne, Italie, catholiques et romands, et dans ◀les▶ pays ◀de▶ ◀l’▶islam (Algérie exceptée) ; comparez ◀les▶ 30 000 tonnes ◀de▶ viande ◀de▶ bœuf importables en franchise ◀de▶ douane dans ◀les▶ pays ◀de▶ ◀la▶ CEE (selon ◀les▶ accords ◀de▶ Lomé II) avec ◀le▶ poste (théoriquement) correspondant dans ◀le▶ budget ◀de▶ ◀l’▶Inde des vaches sacrées… Demandez-vous ce qui se passerait aux USA quant aux prévisions ◀de▶ vente des autos si des sectes comme celle des amish, pacifistes absolus et antimodernistes, qui s’interdisent ◀l’▶usage des autos, devenaient soudain, comme il arrive, la dernière mode from coast to coast.
C’est évidemment ◀la▶ religion qui détermine ◀les▶ variations ◀les▶ plus impressionnantes dans ◀l’▶échelle ◀de▶ mesure des « besoins ». J’en donnerai deux exemples contrastés, l’un illustrant ◀l’▶extrême ◀de▶ ◀la▶ boulimie universelle, l’autre ◀l’▶extrême ◀de▶ ◀la▶ sobriété ascétique, extrêmes auxquels peut mener ◀le▶ besoin spirituel, selon qu’il est conçu comme divinisation impérialiste, ou au contraire, comme oblation altruiste du moi.
J’emprunterai le premier exemple à une légende ◀de▶ ◀l’▶ancienne Russie que me raconta un jour ◀l’▶écrivain exilé Alexis Remizov : ◀la▶ légende ◀de▶ ◀la▶ Grande Baleine.
Il y avait une fois une grande baleine que ◀les▶ habitants ◀d’▶un village avaient prise vivante, et qu’ils aimaient beaucoup. Elle avait faim. Ils lui apportèrent tout ce qu’ils pouvaient trouver, elle mangea tout, et dit qu’elle avait encore faim. N’ayant plus rien à lui donner, ils ◀la▶ transportèrent dans une ville voisine, beaucoup plus riche. Là, sur une place publique, on lui apporta des quantités énormes ◀de▶ nourriture, elle mangea tout, et dit qu’elle avait encore faim, aussi grand-faim qu’avant et encore plus. ◀Les▶ gens voulaient ◀la▶ garder en vie, ils aimaient leur baleine, mais ils ne savaient plus comment ◀la▶ satisfaire. À ◀la▶ fin, ils lui demandèrent : « Qu’as-tu ? » Elle dit : « J’ai faim ». Ils lui dirent : « Nous t’avons donné toute ◀la▶ nourriture du pays. » Elle dit : « Quand vous m’aurez donné cent fois et mille fois plus, j’aurai encore faim. » Ils lui dirent : « Que veux-tu donc ? » et elle dit enfin : « Je veux Dieu ! »
À cette légende ◀de▶ ◀la▶ faim inextinguible j’opposerai ◀l’▶histoire véridique ◀d’▶une sobriété miraculeuse du seul saint Suisse, Nicolas de Flue, qui vécut au xve siècle et ne fut canonisé qu’en 1946.
Nicolas de Flue, homme libre ◀de▶ ◀la▶ Suisse primitive, avait été guerrier dans sa jeunesse, puis juge, puis riche paysan et père ◀de▶ dix enfants, mais à ◀l’▶âge ◀de▶ 50 ans, il se retira du monde dans un ermitage des Alpes, pour se donner à ◀la▶ prière et à ◀la▶ vie contemplative et il cessa ◀de▶ manger pendant vingt ans, jusqu’à sa mort. ◀Les▶ espions envoyés par un évêque méfiant ne purent jamais ◀le▶ surprendre en train de manger des baies sauvages ni ◀de▶ ronger des racines. Par son immense autorité spirituelle, il sut prévenir ◀la▶ guerre civile et il devint ainsi ◀le▶ père et ◀le▶ saint protecteur ◀de▶ ◀l’▶actuelle Confédération helvétique.
◀Le▶ contraste entre ◀la▶ légende russe et ◀l’▶histoire suisse suggère que ◀les▶ besoins religieux peuvent se porter aussi bien sur des idéologies messianiques ◀de▶ puissance, et ◀les▶ besoins tendent vers ◀l’▶infini, que sur des conduites ◀d’▶effacement ◀de▶ soi au service du prochain dans ◀la▶ communauté, et ◀les▶ besoins deviennent pratiquement nuls, ou pour mieux dire : changent ◀de▶ nature.
6. Tout cela est très joli, me dira-t-on, mais ne va pas nous aider à résoudre ◀les▶ problèmes urgents et concrets des besoins énergétiques (surtout dans ◀le▶ monde industrialisé, tant communiste que capitaliste) et des besoins alimentaires (surtout dans ◀le▶ tiers-monde… pour ◀le▶ moment).
À ce « réalisme » ◀de▶ clichés, ignorant ◀de▶ ◀la▶ nature ◀de▶ ◀l’▶homme, c’est-à-dire ◀de▶ ◀l’▶élément véritablement concret ◀de▶ tous nos problèmes, ◀la▶ réalité contemporaine oppose ◀l’▶exemple ◀de▶ ◀la▶ révolution chiite. Je ◀l’▶écrivais en février 1979 :
Ce qui vient de se passer en Iran est un tournant ◀de▶ ◀l’▶histoire des temps modernes. Il s’agit du premier exemple ◀d’▶un rejet, au sens médical, du modèle industriel occidental par tout un peuple du tiers-monde, au mépris ◀de▶ ses intérêts immédiats et du « niveau de vie » qu’on lui promettait, du rejet ◀de▶ ◀la▶ modernisation que son souverain entendait lui imposer « pour son bien » et par pur amour du progrès.
Évoquant ◀le▶ désarroi des ministres et des experts occidentaux devant cette conduite « irrationnelle », j’ajouterai : « C’est qu’ils n’imaginent pas qu’il y a dans ◀l’▶homme d’autres besoins à satisfaire que matériels et chiffrables, obéissant aux calculs ◀de▶ ◀la▶ publicité et aux prévisions du marketing. » Alors que la plupart des peuples du tiers-monde paraissent accepter sans regimber ce que leurs dirigeants (formés par ◀les▶ colonisateurs européens ou soviétiques) leur font croire qu’ils désirent, en Iran se manifeste d’emblée une résistance totalement imprévue par ◀les▶ experts et non enregistrée par ◀les▶ ordinateurs : une résistance purement humaine, spécifiquement humaine, je veux dire religieuse.
Lors ◀d’▶un colloque qui vient de se tenir à Genève, ◀le▶ philosophe et théologien allemand Georg Picht nous rappelait que « si ◀les▶ exportateurs ◀de▶ centrales nucléaires avaient consulté d’abord des experts en histoire religieuse ◀de▶ ◀la▶ Perse, ils auraient probablement hésité à prendre ◀les▶ risques qui sont devenus manifestes au cours de ces dernières semaines ».
◀Les▶ événements qui ont amené ◀le▶ départ du shah et ◀l’▶avènement ◀de▶ ◀l’▶ayatollah Khomeiny ne s’expliquent, en effet, que par ◀le▶ seul facteur négligé par ◀les▶ économistes : ◀la▶ réalité religieuse, en ◀l’▶occurrence ◀le▶ chiisme, qui domine largement dans ◀les▶ masses populaires et, en principe au moins, dans ◀la▶ classe dirigeante.
7. ◀Le▶ minimum vital. Si ◀les▶ besoins peuvent être pratiquement accrus au-delà ◀de▶ toute possibilité matérielle ◀de▶ ◀les▶ satisfaire ; et s’ils peuvent être exaltés théoriquement, vers ◀l’▶infini sur le plan collectif : idéologie du Progrès illimité ; millénarisme totalitaire, stalinien, fasciste ou nazi ; croissance indéfinie du PNB… Si à ◀l’▶inverse quelques saints comme il s’en est trouvé croit-on au Tibet, dans ◀les▶ Andes ou dans ◀les▶ Alpes suisses, ont eu ◀le▶ secret ◀de▶ subsister sans se nourrir, une limite absolue demeure posée : ◀la▶ famine pour des classes ou des populations entières.
Toute réflexion sur ◀les▶ finalités ◀d’▶un ordre économique mondial (qu’on ne saurait dire « nouveau », puisque sans précédent) doit tenir compte ◀de▶ ce préalable, et repenser notre politique à partir de ce seuil, ◀de▶ cette limite inférieure très peu modifiable pour ◀les▶ individus, et pas du tout pour une collectivité.
◀Les▶ mesures prises jusqu’ici contre ◀les▶ grandes famines régionales ont été au mieux décevantes et au pire dénoncées comme autant ◀de▶ trahisons ◀de▶ leurs fins alléguées. (Distributions ◀de▶ vivres à une population immédiatement récupérés par ceux-là mêmes qui affament cette population. Cf. Cambodge.)
Qu’il s’agisse ◀de▶ famine déclarée, ◀de▶ pénurie générale dans une région, ou seulement ◀de▶ menaces ◀de▶ pénurie, certaines erreurs doivent être évitées désormais, et certaines stratégies ou tactiques adoptées.
a) ◀la▶ technicité savante, brillante et jargonnante, qui se moque des fins (survie d’abord, puis Vie développée vers ◀le▶ Sens), et ne tient compte que des facteurs ◀de▶ rentabilité (à court terme), ◀de▶ profit (financier) et ◀de▶ contributions au système mondial ◀de▶ production-distribution ou valorisation des armements classiques et nucléaires.
b) croire aux prétendus « impératifs » ◀de▶ ◀l’▶économie, ◀de▶ ◀la▶ technique, ou ◀de▶ ◀la▶ « défense nationale » qui ne sont que ◀les▶ tentatives publicitaires des grandes et moyennes entreprises pour nous faire prendre leurs désirs pour nos fatalités. Toute ◀la▶ publicité, dont vit ◀la▶ presse d’une part et ◀la▶ Radio-Télévision d’autre part, essaie ◀de▶ nous faire croire, à longueur ◀de▶ journée, que nous ne pouvons plus vivre sans tel produit, sans telle machine, sans tel type ◀de▶ consommation.
Il n’y a ◀d’▶impératifs que ◀de▶ ◀la▶ Nature, ◀de▶ ◀la▶ physiologie (à ◀de▶ rares exceptions près) et ◀de▶ ◀la▶ décence morale (sans exception).
c) confondre besoin et « manque » au sens où cela se dit chez ◀les▶ drogués. Application très évidente à ◀la▶ consommation ◀d’▶énergie électrique et au gaspillage du pétrole. ◀Les▶ Occidentaux sont intoxiqués par ◀le▶ gaspillage ◀d’▶énergie, et ◀le▶ tiers-monde est fasciné par leur démence.
8. ◀L’▶évaluation des besoins se fait aujourd’hui, pratiquement, en termes de politique économique, plutôt que sur ◀la▶ base ◀d’▶enquêtes scientifiques. Elle tend à faire coïncider ◀les▶ « besoins » provoqués chez ◀les▶ consommateurs avec ◀les▶ désirs ◀de▶ profit des producteurs.
Elle relève donc principalement du marketing, ◀de▶ ses stratégies et ◀de▶ ses tactiques bien connues. Ainsi quand une grande compagnie nationale comme Électricité ◀de▶ France (EDF) désire augmenter ses ventes, elle lance ◀le▶ slogan du « tout électrique » destiné à créer ◀le▶ besoin quitte à avouer par son PDG lui-même (voir ◀l’▶interview ◀de▶ M. Boiteux dans ◀Le▶ Monde du 24-01-1975) que ◀le▶ « tout électrique » a été mis là selon ◀le▶ vœu du gouvernement pour « préparer ◀la▶ substitution ◀de▶ ◀l’▶électricité nucléaire au pétrole »59.
Je réitère : ils voudraient nous faire prendre leurs désirs (◀de▶ profit, ◀de▶ puissance, ◀de▶ mise au pas ◀de▶ ◀la▶ société) pour nos besoins, voire nos fatalités.
Quand un gouvernement éprouve ◀le▶ besoin ◀de▶ justifier par quelques chiffres son besoin ◀de▶ prélever davantage sur ◀les▶ activités industrielles qu’il fomente, il fait estimer nos besoins par ceux dont ◀l’▶intérêt est ◀de▶ ◀les▶ majorer bien au-delà du maximum probable. Il s’agit des experts désignés par ◀les▶ producteurs d’une part (patronat et syndicats) et par ◀le▶ gouvernement lui-même d’autre part.
J’écrivais en 1975 : Pour faire face à ◀la▶ demande en électricité dont on assure, sans nul souci ◀de▶ vraisemblance, qu’elle va sans fin doubler tous ◀les▶ sept ou dix ans, on déclare nécessaires des réacteurs dont on ignore encore ◀les▶ vrais dangers, et encore plus ◀les▶ moyens ◀d’▶y remédier. J’en déduis qu’on veut nous faire prendre dès maintenant des risques proprement incalculables au nom des besoins à venir arbitrairement évalués. On ne connaît, scientifiquement, ni ces risques ni ces besoins, et c’est ◀de▶ cette double ignorance que ◀l’▶on déduit ◀la▶ certitude qu’il faut des centrales nucléaires.
Un moyen ◀de▶ résister à des procédures aussi évidemment truquées et cyniquement manipulées, serait ◀d’▶instituer des commissions ◀d’▶enquête sur ◀les▶ besoins réels ◀d’▶une population en nourriture, énergie, transports, formation professionnelle, etc.
Ces commissions devraient se composer non seulement ◀d’▶agronomes, ◀d’▶ingénieurs, ◀d’▶économistes et ◀d’▶éducateurs, mais ◀d’▶historiens des mœurs, ◀de▶ géographes, ◀de▶ biologistes, ◀d’▶écologistes, ◀d’▶hygiénistes et ◀de▶ sociologues (cette liste n’étant pas limitative), chacun ayant fait ◀la▶ preuve ◀de▶ son indépendance à l’égard des gouvernements et des sociétés nationales ou multinationales. (Aller plus loin serait se condamner, je ◀le▶ crains, à ne plus trouver ◀de▶ membres « sérieux ».)
◀Les▶ commissions ayant terminé leur enquête adresseraient leurs conclusions aux gouvernements et aux producteurs d’une part, mais surtout aux organisations ◀de▶ consommateurs d’autre part. Ces derniers se trouvent partout sous-représentés ou non représentés dans ◀les▶ organismes décideurs, — pour ◀la▶ raison indiquée plus haut, que ◀les▶ experts qu’on écoute chez ◀les▶ ministres sont ceux des producteurs, ◀le▶ danger étant alors, « that bargains may be stuck between governments and producer interests at the consumer’s expense »60. ◀D’▶où ◀la▶ nécessité ◀de▶ renforcer ◀les▶ organismes existants, dans ◀le▶ cadre ◀de▶ ◀l’▶International Organisation of Consumers Unions (IOCU).
◀L’▶arme principale des consommateurs, dans toutes ◀les▶ parties du monde, c’est ◀l’▶Information. C’est ◀d’▶une information honnête donnée aux consommateurs européens quant à ◀l’▶origine, aux conditions et aux effets du commerce des produits « exotiques » (qu’ils croient devoir exiger selon leur TV spot) que dépendra ◀l’▶issue ◀de▶ ◀la▶ lutte contre ◀la▶ famine en Afrique noire ou dans ◀l’▶ex-Indochine. C’est ◀d’▶une information honnête aux peuples ◀de▶ ces pays quant aux dangers ◀de▶ ◀la▶ monoculture et ◀de▶ ◀l’▶agrobusiness que dépendra leur survie.
9. Ayant ainsi passé ◀les▶ bornes ◀de▶ ◀la▶ plus insolente naïveté, rien ne me retiendra plus ◀de▶ proposer que, dorénavant, toutes ◀les▶ distributions ◀de▶ vivres et ◀de▶ médicaments aux peuples souffrant ◀de▶ famine ou ◀d’▶épidémies suite à une guerre dite « civile » ou a quelque catastrophe naturelle, s’opèrent sous ◀l’▶étroite surveillance des Casques bleus ◀de▶ ◀l’▶ONU, afin d’éviter que vivres et médicaments soient récupérés avant leur distribution ou aussitôt après par l’un des partis ou gouvernements en présence.
10. Conclusions. En pleine conscience du ridicule qu’encourent aux yeux des experts officiels des propositions aussi excessives que celles qu’on vient de suggérer, à savoir :
— évaluation objective, indépendante, scientifique plutôt que stratégique, et humaine plutôt qu’économique, des besoins véritables ◀de▶ ◀l’▶humanité ;
— information — indépendante des intérêts nationaux ou multinationaux — quant aux besoins véritables des hommes et aux moyens ◀de▶ ◀les▶ satisfaire ;
— surveillance des distributions ◀d’▶aides au tiers-monde par ◀les▶ Casques bleus, non par des fonctionnaires nationaux,
je ne penserai pourtant pas avoir absolument perdu mon temps et celui du congrès ◀de▶ Dakar en proposant à votre réflexion un texte qui se résume à demander trois choses :
— qu’on ne parle plus ◀de▶ « besoins » comme si ◀l’▶on savait ce que c’est, ou comme s’il s’agissait ◀de▶ projets ◀de▶ vente ;
— qu’on ne parle plus ◀de▶ famines comme s’il s’agissait ◀de▶ fatalités ;
— et qu’enfin qu’on ne parle plus ◀de▶ ◀l’▶avenir humain comme s’il s’agissait ◀de▶ quelque chose dont nous ne serions pas responsables.