L’▶Avenir est notre affaire (mai 1981)ck cl
Comment ◀la▶ situation a-t-elle évolué depuis ◀la▶ parution ◀de▶ votre livre ?
Bien des choses ont changé. Prenons trois exemples : je parlais beaucoup des centrales nucléaires, ◀de▶ ◀l’▶auto et des régions.
◀Les▶ centrales nucléaires se sont énormément développées en France. En Suisse, ◀le▶ peuple ◀les▶ a acceptées à une très faible majorité, mais ◀le▶ vote aurait certainement été inverse s’il avait eu lieu quelques semaines plus tard, car entre-temps il y eut ◀l’▶incident ◀de▶ Three Mile Island. ◀L’▶Autriche a voté contre. ◀Le▶ Danemark ◀les▶ a interdites. Aux États-Unis, Carter a gelé ◀le▶ processus.
◀La▶ France est partie en flèche (ce qui a entraîné des conséquences pour mon livre, ◀les▶ milieux officiels s’étant opposés à sa diffusion par ◀les▶ médias). Mais il y a une très forte opposition dans ◀la▶ population. ◀L’▶incident ◀le▶ plus dramatique est celui ◀de▶ Plogoff, en Bretagne, où Électricité ◀de▶ France veut construire trois-centrales nucléaires. ◀L’▶opposition ◀de▶ ◀la▶ population ◀de▶ cette région est telle que ◀l’▶enquête ◀d’▶utilité publique n’a pu avoir lieu que dans des « mairies annexes », installées par ◀la▶ police dans des caravanes, toutes ◀les▶ mairies ayant fait grève. ◀Les▶ habitants ont repris un procédé ◀de▶ Franz Weber pour sauver ◀l’▶Engadine : ils ont acheté des morceaux du terrain sur lequel devaient être construites ◀les▶ centrales et ont édifié sur l’un d’entre eux, en deux nuits, une immense bergerie pour recueillir cinq-cents moutons venant du Larzac. ◀La▶ bergerie est chapeautée ◀d’▶un soleil (énergie solaire), et sur ◀les▶ trois grandes portes, il est écrit : « ◀L’▶avenir, c’est notre affaire ».
◀Le▶ titre ◀de▶ votre livre a-t-il été utilisé ailleurs qu’à Plogoff ?
Mon titre a été beaucoup exploité. Je suis très content qu’il soit sur ◀les▶ portes ◀de▶ ◀la▶ bergerie ◀de▶ Plogoff. J’ai été ravi ◀d’▶apprendre qu’au baccalauréat français ◀de▶ juillet 1980, dans ◀l’▶Académie ◀d’▶Aquitaine, une des trois questions ◀de▶ dissertation était une longue citation ◀de▶ mon livre. Mais mon titre a aussi été utilisé lors des élections françaises ◀de▶ 1978 par ◀les▶ jeunes du RPR, qui en ont fait ◀la▶ devise ◀de▶ leurs affiches, alors que leur programme ne s’inspirait pas du tout ◀de▶ mon livre. En revanche, ◀L’▶Avenir est notre affaire a fait ◀la▶ couverture ◀d’▶un numéro du Nouvel Observateur, au sujet ◀d’▶un colloque animé par Ivan Illich, avec qui je m’entends très bien.
Vous vouliez parler ◀de▶ ◀l’▶auto.
Oui. J’ai été confronté à ◀la▶ Télévision suisse romande avec un ingénieur ◀de▶ chez Renault et avec ◀le▶ président du Salon ◀de▶ ◀l’▶Auto ◀de▶ Genève, et je leur ai demandé ce qu’ils feraient ◀de▶ leurs voitures et ◀de▶ leurs autoroutes quand ◀l’▶essence sera à 15 francs ◀le▶ litre. On n’en est pas encore là, mais ◀le▶ prix ne cesse ◀d’▶augmenter, et il n’y a pas ◀de▶ raison pour que cela s’arrête. Alors, il n’y aura plus que ◀les▶ millionnaires qui pourront rouler. ◀Les▶ laissera-t-on faire ? Nous sommes tellement habitués à nous déplacer en voiture qu’une telle situation créerait des troubles sociaux terribles. Est-ce que c’est ça ◀le▶ Progrès ?
Paul Valéry a écrit : « Nous ne pouvons prévoir nos rêves ni nos projets. » ◀L’▶avion, ◀l’▶auto, tout ce que ◀la▶ technologie a réalisé, ce sont des rêves ◀de▶ ◀l’▶homme, dont nous ne pouvions pas prévoir ◀l’▶aboutissement.
C’est ◀le▶ problème numéro un en Europe. C’est un problème vital pour ◀la▶ Belgique, qui n’arrive pas à s’en sortir ; pour ◀l’▶Espagne, qui a mieux réussi : ◀la▶ nouvelle constitution espagnole reconnaît expressément ◀les▶ « communautés autonomes, existantes et à créer ». Mais ◀les▶ terroristes basques font du tort à ◀la▶ cause des régions. En Grande-Bretagne, c’est une question très importante, pas seulement pour ◀l’▶Écosse, ◀le▶ pays de Galles, mais même pour ◀l’▶Angleterre où ◀les▶ populations réclament des espaces ◀de▶ participation civique. ◀L’▶Italie a appliqué avec vingt ans ◀de▶ retard sa constitution, qui prévoit des régions, dont certaines sont autonomes. En Allemagne, il y a ◀les▶ Länder. En Suisse, ◀les▶ cantons. Cette émergence des régions s’est développée plus vite que je ne ◀le▶ pensais. En France, Chirac vient de déclarer que ce serait ◀la▶ nouvelle idée, ◀l’▶idée principale ◀de▶ sa campagne électorale.
Dans votre livre, vous nous donniez dix à quinze ans au plus pour décider ◀de▶ ◀la▶ survie ◀de▶ notre espèce. Votre avertissement a-t-il été entendu ?
Dans ◀les▶ trois cas que je viens de citer, oui. Mais dans d’autres, ◀les▶ choses se sont aggravées. Une vingtaine ◀de▶ pays ont ◀l’▶arme nucléaire, ce qui accroît ◀les▶ risques… disons ◀d’▶accident…
En 1979, ◀les▶ dépenses militaires mondiales ont été ◀de▶ 500 milliards ◀de▶ dollars, dont ◀le▶ mieux qu’on puisse espérer est que cela ne serve jamais à rien.
◀Le▶ sujet ◀de▶ ◀la▶ défense s’ajoute aujourd’hui à ceux que j’avais traités dans mon livre, parce que ◀la▶ situation politique s’est beaucoup dégradée (Afghanistan, Pologne). ◀Le▶ seul ennemi à redouter pour nous Européens, ce sont ◀les▶ Russes. Et s’ils nous font un jour ◀la▶ guerre, ce sera une guerre classique, car ils voudront s’emparer ◀de▶ nos industries. (En lançant des bombes atomiques, ils créeraient un désert sur lequel ils ne pourraient pas s’aventurer avant trente ans.) Or ◀les▶ Russes sont 260 millions, ◀les▶ Européens (avec ceux ◀de▶ ◀l’▶Est) 520 millions. ◀L’▶URSS a des dizaines ◀de▶ milliers ◀de▶ kilomètres ◀de▶ frontières à ◀l’▶est et au sud qu’elle devrait garder. Elle ne disposerait donc pas ◀de▶ ◀la▶ totalité ◀de▶ son armée pour nous envahir.
S’ils occupaient nos territoires, ◀les▶ Russes seraient certainement surpris ◀de▶ voir que nous ne correspondons pas aux descriptions qu’on leur a faites. Loin de chez eux, dispersés dans chaque région occupée, ils seraient faciles à convertir. C’est pourquoi je dis que ◀la▶ meilleure défense pour ◀les▶ Européens, c’est ◀d’▶apprendre ◀le▶ russe ! Dans mon livre, j’écrivais déjà que toute augmentation du budget militaire est inutile dans un pays qui n’a pas ◀de▶ santé civique. ◀Les▶ moyens ◀de▶ guerre psychologique et ◀de▶ paix seront beaucoup plus importants que ◀les▶ moyens militaires. Ce qui s’est passé ces cinq dernières années ne m’a pas contredit.
Quelle est ◀la▶ part du diable dans ◀la▶ crise ?
Il se cache. Il n’est jamais là, comme dans ◀le▶ récit ◀de▶ ◀la▶ Genèse : après avoir mangé ◀le▶ fruit défendu, Adam et Ève se cachent derrière des arbres, pensant échapper à Dieu. Quand Dieu ◀les▶ trouve, il demande à Adam : « Qu’as-tu fait ? » Adam répond : « Ce n’est pas moi, c’est Ève. » Et Ève : « Ce n’est pas moi, c’est ◀le▶ serpent. » Et ◀le▶ serpent, lui, n’est plus là. Ainsi, nous nous fabriquons des lois derrière lesquelles nous nous cachons. Nous ◀les▶ appelons par exemple « impératifs économiques » ou « techniques ». Chaque pays s’évertue à expliquer que sa balance des paiements sera en équilibre lorsque ses exportations ◀l’▶emporteront sur ses importations. Or, à ◀l’▶échelle du monde, il est clair que c’est impossible !
Votre livre appelle à ◀la▶ conversion. Vous nous appelez à faire passer ◀le▶ spirituel et ◀l’▶affectif avant ◀le▶ matériel et ◀le▶ technique. Quand ◀les▶ temps sont proches, que doit faire ◀le▶ converti ?
Changer ◀de▶ valeurs, c’est déjà ◀l’▶essentiel. Si ◀l’▶homme peut se placer à un point de vue spirituel plutôt qu’à un point de vue ◀de▶ volonté ◀de▶ puissance ou ◀de▶ besoin ◀de▶ sécurité à tout prix, s’il atteint ◀la▶ liberté spirituelle, il réalise ce qu’il doit faire sur terre. Mais on ne peut pas séparer ◀le▶ travail que ◀l’▶on fait sur soi-même du travail que ◀l’▶on fait pour ◀les▶ autres. Sous ◀l’▶angle spirituel, il n’y a pratiquement pas ◀de▶ différence : « Tu aimeras ◀le▶ Seigneur, ton Dieu, ◀de▶ tout ton cœur, ◀de▶ toute ton âme, et ◀de▶ toute ta pensée. » C’est là ◀le▶ grand, le premier commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
◀La▶ liberté correspond à une responsabilité, si elle est réelle. ◀L’▶homme converti, tourné vers ◀les▶ valeurs spirituelles, et pour ◀la▶ même raison qu’il est libéré spirituellement, est responsable dans ◀la▶ société.
Quelle différence y a-t-il entre ◀la▶ peur ◀de▶ ◀l’▶an 1000 et notre peur ◀de▶ ◀l’▶an 2000 ?
Ce sont deux choses tout à fait différentes. ◀La▶ peur ◀de▶ ◀l’▶an 1000 était magique, — dans ◀la▶ mesure où elle a été réelle et non pas inventée par Michelet. Aujourd’hui, nous avons hélas ◀de▶ bonnes raisons rationnelles ◀d’▶avoir peur. Tout cela va très mal finir. Suivant ◀les▶ théories économiques ou militaires, cela peut durer cinquante ou cent ans. Mais on n’y coupera pas. Cela n’a d’ailleurs pas une importance capitale. Et il ne faut pas, sous des prétextes mondains, sacrifier notre vie éternelle. Nous devons nous indigner contre ◀le▶ mensonge, ◀le▶ dénoncer dans ◀la▶ vie quotidienne, et en particulier en ce qui concerne ◀le▶ nucléaire.
Je suis optimiste comme tout croyant. Mais ◀la▶ terre finira, comme ◀les▶ autres planètes, selon ◀la▶ loi ◀de▶ dégradation du cosmos. ◀L’▶homme industriel contribue à accélérer ◀la▶ fin du monde en augmentant ◀l’▶entropie, ◀le▶ gaspillage et ◀la▶ dégradation ◀de▶ ◀l’▶énergie. Nous allons vers ◀la▶ mort tiède ◀de▶ ◀l’▶univers. ◀Les▶ erreurs sur ◀l’▶avenir sont de plus en plus graves, à mesure que nos moyens sont plus grands. C’est une question ◀de▶ dimensions. Voilà pourquoi je parle tant des régions, c’est-à-dire ◀de▶ petites sociétés, ◀les▶ seules où ◀les▶ humains peuvent encore agir comme des citoyens libres et responsables.