De la▶ personne à ◀l’▶Europe des régions (25 mars 1982)b c
Toute votre œuvre est sous-tendue par ◀l’▶idée de ◀la▶ « personne ». Quelle est cette personne ?
Dans ◀les▶ années 1930, cette idée était commune à des gens de provenances très diverses et qui se retrouvaient dans ◀les▶ groupes personnalistes. Tous partaient d’une définition de ◀l’▶homme, non pas comme individu, mais comme personne. ◀La▶ personne est appelée par un but et marche vers ce but en inventant son chemin. C’est un chemin unique et sans précédent, un sentier qu’il doit inventer et qui n’a été foulé par personne avant lui. Il doit y avancer par ◀la▶ foi, dans ◀la▶ nuit, sans savoir à ◀l’▶avance si son pied trouvera une terre ferme. ◀La▶ personne est ◀l’▶expression permanente d’un homme à la fois libre et responsable, libre parce qu’il est responsable et responsable dans ◀la▶ mesure où il est libre.
Mais comment passe-t-on de ◀la▶ personne à ◀la▶ fédération ?
On ne devient pas une personne toute seule dans une caverne. ◀La▶ personne, individu en acte qui réalise sa vocation, entre en relation avec ◀les▶ autres. Cette relation crée une communauté, pas celle des grands ensembles d’une ville où ◀l’▶on ne connaît personne, mais une communauté authentique donc de petite taille. Une communauté trop vaste devient une collectivité et ◀l’▶État y installe sa géométrie. Dans une communauté, on connaît ◀les▶ gens et ◀la▶ voix d’un homme peut s’y faire entendre. Aussi ces communautés doivent se grouper pour accomplir ◀les▶ tâches qui dépassent leur taille et créer des régions ; ces régions à leur tour se fédèrent. À mesure que ◀les▶ choses à faire deviennent de plus en plus importantes par leurs dimensions et leur coût ◀la▶ fédération grandit allant jusqu’au continent. Tout cela se tient. De ◀la▶ personne, on passe à ◀la▶ communauté, de ◀la▶ communauté à ◀la▶ région, de ◀la▶ région à ◀la▶ fédération de régions, à ◀la▶ fédération européenne, et même pour certains objets trop vastes comme ◀la▶ protection des océans, à ◀la▶ fédération mondiale.
◀Le▶ fédéralisme préconise donc de résoudre chaque problème au niveau même où il se pose ?
Oui, ◀le▶ fédéralisme part d’en bas, c’est-à-dire des plus petites unités. C’est ce que ◀le▶ diplomate américain D. Moynihan formulait naguère à propos des USA mais qu’il est facile de transposer en termes européens :
Ne confiez jamais à une plus grande unité ce qui peut être fait par une plus petite. Ce que ◀la▶ famille peut faire, ◀la▶ municipalité ne doit pas ◀le▶ faire. Ce que ◀la▶ municipalité peut faire, ◀les▶ États ne doivent pas ◀le▶ faire. Et ce que ◀les▶ États peuvent faire, ◀le▶ gouvernement fédéral ne doit pas ◀le▶ faire.
◀Le▶ fédéralisme postule donc toujours une action au niveau de ◀la▶ vie concrète.
Pourquoi cette filiation de ◀la▶ personne au fédéralisme redevient aujourd’hui une question pertinente ?
Parce que ◀l’▶individualisme déchaîné, ◀l’▶égoïsme et ◀l’▶absence de civisme ont permis un développement monstrueux des États et pas seulement des États totalitaires. Tous nos États sont victimes d’une centralisation excessive à l’imitation de ◀l’▶État napoléonien qui a été copié presque par tout le monde. Je ◀l’▶ai dit il y a longtemps, « c’est avec ◀la▶ poussière des individus que ◀les▶ États totalitaires font leur ciment ». Partout où ◀l’▶individu devient une personne, ◀l’▶État recule. Aujourd’hui ◀le▶ développement de ◀l’▶État est devenu tellement démentiel qu’il ne fonctionne plus. On ne peut pas faire marcher un pays en décidant tout de sa capitale, parce que, pratiquement, on ne décide rien. Ce qui fonctionne toujours, c’est ◀la▶ relation entre ◀la▶ guerre et ◀les▶ États et aussi entre ◀le▶ nucléaire et ◀la▶ guerre. Cela constitue un circuit où tout se tient. Par exemple aux portes de ◀la▶ Suisse, une centrale comme celle de Creys-Malville est destinée à produire du plutonium. ◀La▶ relation entre ◀le▶ nucléaire civil et ◀le▶ nucléaire militaire a été par ailleurs démontrée. Bien entendu, tout cela sert à faire des bombes et tant pis si c’est dangereux, on mettra ◀la▶ police pour surveiller… Ce sont ces multiples interactions qui confortent ◀l’▶escalade de ◀l’▶État-nation et qui rendent donc plus nécessaire ◀la▶ capacité de résistance des personnes.
Est-ce que ◀la▶ Suisse est menacée par ◀la▶ centrale française de Creys-Malville ?
◀L’▶accident majeur de Creys-Malville qui est décrit comme ◀la▶ fonte du cœur du réacteur provoquée par ◀l’▶interruption de son refroidissement pourrait transformer en aérosol tout ou partie des quatre tonnes de plutonium de ◀la▶ centrale. D’une manière générale, comme ◀la▶ direction des vents va de Lyon vers Genève, cet immense aérosol balaierait tout ◀le▶ plateau suisse et tuerait tout sur son passage, non seulement dans ◀les▶ quelques heures qui suivraient, mais rendrait ◀la▶ Suisse inhabitable pour des décennies.
Il existe pourtant une menace bien plus importante avec ◀les▶ SS20 soviétiques et ◀les▶ fusées occidentales ?
C’est ce qu’on m’a répondu récemment à Paris, lorsque je demandais aux responsables de ◀la▶ production électrique quel serait ◀l’▶accident majeur qui pourrait arriver à Creys-Malville. On a refusé de me répondre en me disant que ◀la▶ probabilité était faible, et qu’il existait une menace bien plus dangereuse : ◀les▶ fusées des 26 silos du plateau d’Albion qui sont pointées vers Moscou. Disposant de SS20 orientés sur ces silos, en cas de guerre, ◀les▶ Russes ne laisseraient pas ◀les▶ Français tirer les premiers. Voilà, m’expliquait-on, qui provoquerait une série d’explosions cent fois plus importantes que ◀l’▶accident majeur de Creys-Malville. Est-ce qu’on pensait me rassurer ? Et, comme par hasard, d’une façon générale, on installe toujours ces choses dangereuses aux frontières, de sorte que, s’il y a un pépin, ce soient plutôt ◀les▶ autres qui trinquent. Si ◀la▶ France et ◀l’▶Italie installaient à nos frontières de grands établissements où concentrer ◀le▶ haschisch pour ◀le▶ faire passer en Suisse, nous protesterions. Actuellement, ce qui nous menace est bien pire que ◀le▶ haschisch, incalculablement pire…
Finalement, êtes-vous de gauche ou de droite ?
Je vais vous répondre par cette formule d’Ortega y Gasset que je trouve superbement adaptée à votre question : « Être de gauche ou de droite, c’est choisir une des innombrables manières qui s’offrent à ◀l’▶homme d’être un imbécile. » Toutes deux en effet sont des formes d’hémiplégie morale. Comme ◀le▶ démontre ◀le▶ fait qu’aujourd’hui ◀les▶ droites promettent des révolutions et ◀les▶ gauches des tyrannies…