Hitler, l’▶anti-prophète de notre siècle (10 février 1983)x
◀Le▶ maréchal von Hindenburg vient d’être réélu président de ◀la▶ République, en avril 1932, contre ◀l’▶agitateur Hitler, chef du Parti national-socialiste des ouvriers allemands (NSDAP, selon ◀le▶ sigle allemand). Mais ◀le▶ désordre politique s’aggrave. ◀Les▶ élections législatives de juillet amènent 230 députés nazis au Reichstag. De nouvelles élections en novembre font tomber ce nombre à 196, Hitler ayant perdu en quelques mois deux millions de voix, à ◀la▶ suite d’une entente avec ◀les▶ communistes ◀le▶ temps d’une grève à Berlin. Et Léon Blum écrit : « Hitler a perdu ses dernières chances d’accéder au pouvoir. »
S’ensuivent des marchandages cyniques et des renversements d’alliances entre banquiers, industriels, conservateurs, centre catholique, communistes et sociaux-démocrates, chacun tentant de jouer ◀les▶ nazis contre son rival du moment. Enfin, ◀le▶ 30 janvier 1933, contre toute attente, ◀le▶ maréchal appelle au poste de chancelier ◀l’▶ancien caporal Adolf Hitler, né Autrichien, et qui vient d’être naturalisé. Ce jour-là, devant ◀le▶ vieil aristocrate prussien surchargé de décorations, raide et condescendant, s’incline un chef plébéien mal habillé, au sourire vulgairement satisfait. Dans leur poignée de main peu croyable se sont noués ◀les▶ destins de notre siècle.
◀La▶ défaite de 1918 avait précipité ◀l’▶Allemagne dans un chaos sans précédent ; six millions de chômeurs ; une inflation qu’on disait galopante, et c’était trop peu dire, quand ◀l’▶État émettait des billets de 100 millions et d’un milliard de marks ; ◀l’▶humiliation nationale du traité de Versailles ; ◀le▶ désarmement imposé ; ◀le▶ terrorisme des groupuscules armés d’extrême droite ou d’extrême gauche ; ◀la▶ lutte sans merci des communistes contre ◀la▶ social-démocratie, ennemi n° 1 ; ◀la▶ peur du bolchévisme proche, ◀la▶ carence des démocraties bavardes, ◀la▶ révolte d’une jeunesse vagabonde, plus radicale et plus charmante que ◀les▶ hippies de demain…
Toutes ◀les▶ théories politiques, marxistes ou capitalistes, ont échoué depuis un demi-siècle dans ◀l’▶analyse de cette situation initiale. Car ◀l’▶hitlérisme est né de ◀la▶ rencontre absolument irrationnelle, et j’oserais dire antiprovidentielle, du Chaos et d’un fils du Chaos. C’est donc d’Hitler qu’il faut parler.
Individu quelconque et quasi nul en soi, phénomène d’envergure mondiale, tel fut ◀l’▶homme, tel demeure son mystère. ◀Les▶ effets fracassants déclenchés dans ◀le▶ siècle par son apparition sont bien connus : on n’y retrouve pas, à ◀l’▶analyse, ◀la▶ moindre trace de sa personne. Il fut ces effets, et rien d’autre. Démontrer qu’il n’a pas existé serait un jeu : père inconnu, cadavre disparu, témoignages contradictoires de ceux qui ◀l’▶ont approché ou servi — et ses photos donnent toutes ◀l’▶impression d’un truquage. ◀La▶ catastrophe du xxe siècle atteste seule sa réalité.
◀Le▶ plus grand théologien contemporain, Karl Barth, a écrit : « ◀Le▶ prophète n’a pas de biographie. Il se lève et tombe avec sa mission. » Ainsi d’Hitler, ◀l’▶antiprophète de notre temps, ◀le▶ prophète d’un pouvoir vide, d’un passé mort, d’une catastrophe totale dont il allait devenir ◀l’▶agent. Avec son insondable vulgarité, sa mégalomanie et son magnétisme psychologique, ce quasi-néant d’homme ridicule et tragique a été ◀le▶ prophète du Néant collectif, où il a presque réussi à entraîner toute sa génération. C’est ainsi que je ◀l’▶ai senti, éprouvé de tout ◀l’▶être, enregistré au radar de quelque intuition subconsciente. Et prédit sans erreur, avec pas mal d’avance, dans ◀les▶ étapes de sa carrière.
Le dernier carnaval
En mars 1932, au lendemain d’une rencontre des jeunesses révolutionnaires françaises et allemandes, qui s’était tenue « dans un Francfort en proie au carnaval et à ◀l’▶angoisse », je parlais du « dernier carnaval de cette bourgeoisie dont je viens d’admirer ◀les▶ trésors patinés dans ◀la▶ haute demeure familiale des Goethe ». ◀L’▶accession d’Hitler au pouvoir se produisit onze mois plus tard exactement.
◀Le▶ 20 mars 1939, j’osais déclarer, dans une chronique du Figaro sur ◀l’▶occupation de Prague, que nous vivions « ◀les▶ derniers jours du bon vieux temps européen ». Ce fut ◀la▶ guerre, cinq mois plus tard.
◀Le▶ 17 juin 1940, j’écrivais dans un journal suisse :
◀L’▶envahisseur avait prophétisé : « ◀Le▶ 15 juin j’entrerai dans Paris ». Il y entre en effet, mais ce n’est plus Paris. Et telle est sa défaite irrémédiable devant ◀l’▶esprit, devant ◀le▶ sentiment, devant ce qui fait ◀la▶ valeur de ◀la▶ vie… Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues ◀les▶ plus émouvantes du monde : il ne ◀les▶ connaîtra jamais. Il ne verra que d’aveugles façades… ◀La▶ confrontation stupéfiante de cet homme et de cette ville était peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde entier qu’il est des victoires impossibles…
Enfin, on peut lire dans ◀La▶ Part du diable , que je publiai à New York en 1942, trois ans avant ◀la▶ mort du Führer :
Hitler s’est tu. ◀L’▶aventure a pris fin dans ◀la▶ catastrophe prévue. Et devant ◀le▶ cadavre gisant de ◀l’▶homme qui fit trembler tout ◀l’▶univers, voici que nous nous écrions avec une stupéfaction mêlée de honte : « Comme il était petit ! Il n’était grand, comme Satan lui-même, que de ◀la▶ grandeur de nos misères secrètes. »
Petit, aliéné, prolétaire : ces mots reviennent sans cesse à son propos, et ◀le▶ plus souvent dits par lui.
En juin 1939, au plus fort de ◀la▶ crise de Dantzig, C. J. Burckhardt, haut-commissaire de ◀la▶ SDN à Dantzig, est reçu en audience par ◀le▶ Führer : il s’agit d’une ultime tentative pour sauver ◀la▶ paix. Hitler ouvre ◀l’▶album où il fait coller chaque jour ◀les▶ articles parus sur lui à ◀l’▶étranger. Il désigne une coupure du Courrier de Saint-Étienne intitulée : « ◀Le▶ Führer a perdu ◀la▶ guerre des nerfs. » Il entre dans une rage folle. « Vous voyez, crie-t-il, il faut bien que je fasse ◀la▶ guerre à ◀la▶ Pologne puisqu’on écrit des choses pareilles sur moi. » C. J. Burckhardt lui demande pourquoi il attache tant d’importance aux propos d’une feuille de province : « Pourquoi ? gémit ◀le▶ Führer, mais parce que moi je ne suis rien, je n’ai que mon prestige vis-à-vis de mon peuple ! Je ne suis qu’un petit homme du commun ! Si je perds mon prestige, je perds tout ! Vous, monsieur Burckhardt, vous savez qui vous êtes, vous êtes de ◀la▶ grande famille Burckhardt de Bâle. Vous pourriez vous moquer d’un tel article. Mais moi je ne suis qu’un prolétaire ! »
Ce prolétaire en uniforme, ce petit homme du commun, Charlot soldat ◀l’▶avait représenté d’avance, et cette anticipation grotesque nous paraît aujourd’hui bien plus ressemblante que ◀le▶ film polémique composé après coup par ◀le▶ même Chaplin, ◀Le▶ Dictateur.
Non pas un monstre pittoresque comme Attila ou Gengis Khan, mais un petit-bourgeois déclassé, qui veut sa revanche, tour à tour enragé et prostré. Rien de plus atterrant, dans toutes ses biographies, que ◀la▶ description donnée par son ministre Speer des soirées de Berchtesgaden, de leur ennui pesant et empesé autour d’un Führer silencieux, non qu’il veuille garder secrets ses grands desseins, mais parce qu’il ne sait pas de quoi parler.
Ce vide du personnage est essentiel : il est ◀la▶ condition de sa « mission » satanique. Certes, Hitler n’était pas ◀le▶ diable. Mais certains ont pensé, pour ◀l’▶avoir éprouvé en sa présence par un frisson d’horreur sacrée, qu’il était ◀le▶ siège d’une « domination », d’un « trône », d’un « génie » ou d’une « puissance », comme saint Paul désigne ◀les▶ esprits de second rang qui peuvent déchoir dans un corps d’homme et ◀l’▶occuper.
Je ◀l’▶ai entendu prononcer l’un de ses grands discours, et je ◀l’▶ai vu à la sortie de ce culte, debout dans sa voiture qui longeait très lentement une rue peu large, mal éclairée. Une seule chaîne de SS ◀le▶ séparait de ◀la▶ foule. J’étais au premier rang, à trois mètres de lui, marchant à ◀la▶ hauteur de ◀la▶ voiture, ◀les▶ mains dans ◀les▶ poches de mon pardessus. Un bon tireur ◀l’▶eût descendu très facilement. Mais ce bon tireur ne s’est jamais trouvé dans cent occasions analogues.
Voilà ◀le▶ principal de ce que je sais sur Hitler, écrivais-je ◀le▶ lendemain dans mon journal. On peut réfléchir là-dessus. Réfléchir ou même délirer… On ne tire pas sur un homme qui n’est rien et qui est tout. On ne tire pas sur un petit-bourgeois qui est ◀le▶ rêve de soixante millions d’hommes. On tire sur un tyran, ou sur un roi, mais ◀les▶ fondateurs de religion sont réservés à d’autres catastrophes. ◀Le▶ Führer déclarait un jour : « Je ne crains pas ◀les▶ Ravaillac, parce que ma mission me protège. » Il faut croire un homme qui dit cela… D’où lui vient ◀le▶ pouvoir surhumain qu’il développe pendant un discours ? Une énergie de cette nature, on sent très bien qu’elle ne saurait se manifester qu’autant que ◀l’▶individu ne compte plus, n’est que ◀le▶ support d’une puissance qui échappe à nos psychologies… On me demande sottement s’il est intelligent. Ne voit-on pas qu’un homme intelligent, si cela compte en lui ◀le▶ moins du monde, il ne vaut rien pour un destin pareil. En ce sens démoniaque du terme, un « génie » n’est ni fou ni bête, ni sensé ni intelligent. Il ne s’appartient pas, n’a pas de qualités propres, de vices ou de vertus, ni même de compte en banque, et à peine un état civil. Il est ◀le▶ lieu de passage des forces de ◀l’▶Histoire, ◀le▶ catalyseur de ces forces qui déjà sont dressées devant vous ; et après cela, vous pouvez ◀le▶ supprimer sans rien détruire de ce qui s’est fait par lui.
Un homme quelconque, transfiguré par sa ténébreuse « mission », Schickelgruber habité par un trône ! On a ri. On a cessé de rire…
◀Le▶ national-socialisme, raciste et adorateur du sang et de ◀la▶ guerre, s’est présenté à nous comme un malheur plus étendu et plus profond que ◀l’▶histoire n’en connut depuis ◀le▶ Déluge. ◀L’▶issue fatale de ◀l’▶aventure n’affecte pas sa portée symbolique et n’exclut pas ◀la▶ possibilité de son retour, car ◀le▶ mouvement qu’Hitler sut enflammer dans notre siècle existait en puissance dans ◀l’▶âme humaine depuis ◀la▶ formation de la première société. Hitler n’a fait que lui prêter figure et nom, à ◀l’▶occasion de son éruption ◀la▶ plus violente jusqu’ici.
◀Le▶ Guide de ◀l’▶inconscient
Tout s’est passé comme si Hitler, ayant posé ◀le▶ diagnostic exact de notre société occidentale, avait aussitôt abusé de ◀l’▶élan de confiance déclenché dans ◀les▶ foules, en leur proposant ◀les▶ remèdes ◀les▶ plus grossiers, puis en leur imposant ◀le▶ régime ◀le▶ plus évidemment charlatanesque.
Diagnostic hitlérien : dans ◀l’▶Europe du xxe siècle, ◀le▶ sens de ◀la▶ communauté est en train de disparaître, mais ◀le▶ besoin « d’être ensemble » demeure vital. ◀La▶ communauté est détruite par toutes ◀les▶ forces de dissociation — rationalisme bourgeois ou marxiste, capitalisme anonyme et nomade, mélange de races, universalisme judéo-chrétien, qui détruisent ◀les▶ liens organiques et naturels, donc germaniques, même entre ◀les▶ Allemands de langue et de race.
Pour recréer ces liens, il faudra faire appel aux forces irrationnelles de ◀l’▶inconscient. Pour régner, pour venger Schickelgruber, Hitler invente génialement ◀la▶ fonction de directeur d’inconscience collective. ◀L’▶effrayant, c’est de voir à quel point ◀le▶ Führer, ◀le▶ Guide de ◀l’▶inconscient du peuple, est en même temps conscient de son opération, lucide et froid comme ◀le▶ Serpent de ◀la▶ Genèse. Dans Mein Kampf, dès 1923, il décrit avec une surprenante précision ◀le▶ réveil des puissances souterraines qu’il se propose d’opérer :
Tous ◀les▶ grands mouvements de ◀l’▶Histoire sont des éruptions volcaniques de passions et de sensations spirituelles provoquées soit par ◀la▶ cruelle déesse de ◀la▶ Misère, soit par ◀la▶ torche de ◀la▶ parole jetée dans ◀les▶ masses. Seule une tempête de passion brûlante peut changer ◀les▶ destinées d’un peuple.
Surtout, ne donnez pas de raisons aux masses, car de tout temps
◀les▶ forces qui ont produit ◀les▶ plus grands changements dans ◀le▶ monde ont été trouvées non pas dans ◀la▶ connaissance scientifique, mais dans ◀le▶ fanatisme dominant ◀les▶ masses, et dans une véritable hystérie qui ◀les▶ pousse en avant.
Pour provoquer ◀l’▶hystérie nécessaire, Hitler dispose de deux moyens : « ◀La▶ torche de ◀la▶ parole » jetée dans ◀les▶ masses ◀les▶ trouvera prêtes à s’enflammer si « ◀la▶ cruelle déesse de ◀la▶ Misère » ◀les▶ a d’abord conditionnées. Sous toutes ses formes, privées et publiques, c’est ◀le▶ Malheur qui va donc devenir ◀la▶ matière première de son œuvre et ◀le▶ gage de sa parole. De fait, Hitler arrivera au pouvoir grâce à ◀la▶ crise démente que j’ai rappelée, anarchie spirituelle, chômage et inflation…
Sa parole n’est d’abord que ◀le▶ ressassement de ces malheurs occidentaux et du superlatif malheur allemand — confession des péchés… d’autrui, attisant non ◀le▶ remords mais ◀la▶ haine. Viennent alors ◀les▶ promesses de grâce : en rejetant ◀le▶ traité de Versailles, « cette Gorgone terrorisant ◀le▶ peuple allemand qui vivait désarmé et humilié sous ◀le▶ regard de ces milliers d’yeux » (Mein Kampf), il supprime ◀le▶ Juge, et ◀la▶ faute. En fondant tout un peuple dans une masse passionnée, il ◀le▶ rend à ◀l’▶état d’innocence première : pas de responsables dans une masse, donc pas de culpabilité.
Ayant ainsi rétabli ◀les▶ liturgies civiques, une masse allemande, réellement nationale, Hitler se voit dans ◀la▶ situation du fondateur de religion, au sens premier du terme : « religio », lien noué, renoué.
Au sortir du discours de Francfort que j’entends et subis en 1936, j’écris ceci :
Je me croyais à un meeting de masses, à quelque manifestation politique. Mais c’est leur culte qu’ils célèbrent ! Et c’est une liturgie qui se déroule, ◀la▶ grande cérémonie sacrale d’une religion dont je ne suis pas, et qui m’écrase et me repousse avec bien plus de puissance, même physique, que tous ces corps horriblement tendus. Je suis seul et ils sont tous ensemble.
Un désastre mondial
Dès avant ◀la▶ guerre de 1939, ◀la▶ majorité des humains savaient qu’Hitler était ◀le▶ nom d’un désastre imminent et mondial. Pourtant, on ne ◀l’▶a pas arrêté. Voilà ◀le▶ point qu’il faut élucider.
Replaçons-nous dans ◀la▶ situation de ◀l’▶Europe à ◀la▶ veille de sa grande catastrophe. ◀La▶ question qui se posait alors à ◀l’▶inquiétude de trop rares observateurs était ◀la▶ suivante : « Comment se peut-il que des individus ‟normaux” deviennent subitement nazis ? Que des populations entières se laissent séduire ? Que dans tous ◀les▶ pays, pas seulement en Allemagne, des hommes subissent ◀la▶ contagion de ce mal, changent subitement de visage, se raidissent, se ferment à tout raisonnement, à toute discussion, à tout recours aux vérités fondamentales sur lesquelles s’édifia ◀la▶ civilisation de ◀l’▶Occident ? »
◀L’▶explication de cette énigme réside pour moi dans ◀l’▶évidence que voici : Adolf Hitler, mieux que ◀les▶ communistes et ◀les▶ fascistes, a su répondre à ◀la▶ question centrale du siècle, qui est religieuse au sens élémentaire de ce terme, sens vital et mortel à la fois. Dans ◀les▶ ruines matérielles et morales d’une société qui avait généralement perdu ◀la▶ Foi, ◀l’▶Espérance et ◀l’▶Amour, il a fondé ◀le▶ culte de ◀la▶ masse déifiée, animée par ◀les▶ trois antivertus théologales de ◀la▶ Puissance, de ◀la▶ Race et de ◀la▶ Haine.
◀L’▶idolâtrie du sang et du sol n’est autre chose, selon nous, qu’un retour offensif du culte cananéen de Baal. D’autres traits y apparaissent : ceux de Moloch, dans ◀la▶ mesure où Moloch est ◀l’▶idole tribale qui réclame des sacrifices humains et donne en échange, comme bénédiction, un accroissement de puissance.
Ce message que, de sa prison, à ◀la▶ veille de ◀la▶ guerre, m’avait fait passer un théologien anonyme dont j’ignore encore s’il était chrétien ou juif, dévoilait ◀le▶ mystère profond de ◀l’▶hitlérisme, en même temps qu’il annonçait ◀les▶ hautes tours des crématoires d’Auschwitz et ◀l’▶Holocauste.
◀La▶ faiblesse frappante de ◀la▶ critique tant libérale que marxiste, dès qu’elle essaie d’analyser ◀le▶ phénomène nazi, provient de ◀l’▶obsession économiste qui ◀l’▶aveugle sur ◀l’▶importance primordiale du fait religieux, au sens sociologique du terme, disons : au sens « païen » et non chrétien.
Mais ◀le▶ désastre était inscrit dans ◀les▶ données de ◀l’▶aventure hitlérienne. Fondée sur ◀le▶ Malheur, elle allait au Néant. « Das Nichts nichtet (◀le▶ néant néantit) », venait d’écrire ◀le▶ grand philosophe Heidegger — un temps séduit par ◀les▶ mythes du nazisme.
Ayant pour force unique ◀l’▶appel communautaire et par là submergeant tous ◀les▶ mouvements fondés sur ◀le▶ matérialisme — capitaliste ou « dialectique » — ◀le▶ national-socialisme ne pouvait aboutir qu’à ◀la▶ guerre, dès lors qu’il ne donnait à ◀la▶ communauté d’autre contenu que ◀la▶ haine commune, d’autre contenant que ◀l’▶État national, et d’autre espoir que ◀le▶ rêve d’une Puissance recouvrée aux dépens de ◀la▶ Liberté, la sienne propre non moins que celle des autres.
Mais ◀le▶ rêve de Puissance totale n’est qu’un cauchemar. Une nation ne peut ◀le▶ rêver, ◀le▶ mimer et ◀l’▶agir que dans ◀l’▶hypnose, celle qui naissait des fêtes sacrales organisées par ◀le▶ Führer au rythme lent et envoûtant des défilés et des tambours pendant des nuits entières. C’est que ◀la▶ formule totalitaire est à jamais inapplicable : une idée de fou.
Il ne saurait y avoir toute-puissance d’une partie sur un tout humain. Il n’y a en fait que ◀la▶ puissance d’un parti sur sa propre nation, systématiquement amputée de tout ce qui pourrait résister à ◀la▶ mise au pas étatique, et par là promise à sa perte. Choisir ◀la▶ nation autarcique et ◀la▶ Race contre ◀l’▶humanité en général, ◀l’▶universel, mais aussi contre chaque homme en particulier, ◀le▶ personnel, tel fut ◀le▶ péché constitutif du national-socialisme. ◀L’▶Occident n’a pas eu de pire ennemi, et il est loin d’être certain qu’il ait été vaincu ailleurs que dans ◀les▶ ruines de Berlin.
Hitler donnait ◀la▶ pire réponse possible, mais une réponse, à ◀la▶ question centrale de notre temps. Tel fut son vrai Pouvoir, et j’écrivais alors : « Seul un prophète peut lui répondre ». Nous ◀l’▶attendons encore. Saurons-nous ◀le▶ reconnaître ?