Club-Énergie de l’Est vaudois : avec Denis de Rougemont (19 juin 1984)ah ai
L’▶ensemble des conflits qui couvent ou se déclarent en cette fin du xxe siècle se ramènent à ◀l’▶opposition entre deux formes ◀d’▶énergie, ◀le▶ nucléaire et ◀le▶ solaire. Car chacune ◀de▶ ces deux solutions implique et détermine ◀de▶ proche en proche des systèmes ◀de▶ causes et ◀d’▶effets en interdépendance inéluctable, et qui tendent à composer deux modèles ◀de▶ société théoriquement contradictoires et ◀de▶ moins en moins compatibles dans ◀les▶ faits. ◀Le▶ temps est venu de choisir entre ◀les▶ deux, en connaissance de cause, bien sûr, mais plus encore en connaissance des fins humaines auquel chaque modèle nous conduit.
Deux volontés se manifestent dès ◀les▶ origines dans ◀l’▶histoire ◀de▶ ◀l’▶humanité et s’opposent ou parfois se composent en chacun ◀de▶ nous : ◀la▶ puissance et ◀la▶ liberté. ◀La▶ puissance sur autrui et ◀la▶ liberté personnelle. ◀La▶ puissance collective ◀de▶ ◀la▶ tribu, du clan, ◀de▶ ◀la▶ cité, du roi, puis ◀de▶ ◀l’▶État moderne ; et ◀la▶ liberté des citoyens, des groupes, des communes, des régions, qui entendent tout simplement et autant qu’ils ◀le▶ peuvent, rester maîtres ◀de▶ leur propre destin.
Or, parmi ceux qui optent pour ◀la▶ puissance, une minorité très restreinte est motivée par ◀la▶ volonté ◀d’▶exercer ◀le▶ pouvoir sur autrui, ◀d’▶être des chefs ; la plupart cède tout simplement au besoin ◀de▶ sécurité, c’est-à-dire, pratiquement, ◀d’▶abandon ◀de▶ leurs droits à ◀l’▶État, au parti ou au chef qui s’en est emparé.
Quant à ceux qui optent pour ◀la▶ liberté, certains pensent y être conduits par quelque individualisme égoïste ou sont au contraire motivés par un besoin ◀de▶ responsabilité assumée dans ◀la▶ communauté.
Comment se sentir libre si ◀l’▶on n’est responsable ◀de▶ rien ? Et comment serait-on responsable si ◀l’▶on n’est pas libre ◀de▶ ses actes ?
N’allons pas croire pourtant qu’entre ◀le▶ besoin ◀de▶ puissance à tout prix et ◀le▶ besoin ◀de▶ liberté à tous risques, ◀l’▶humanité se divise en deux camps bien tranchés : c’est en chacun ◀de▶ nous que ◀le▶ conflit se poursuit. ◀Les▶ deux pulsions contraires coexistent en nous. Personne n’est jamais ni tout l’un ni tout l’autre. Et il n’existe pas non plus ◀de▶ liberté réelle sans nulle puissance, ni ◀de▶ puissance qui ait quelque saveur sans au moins ◀l’▶illusion qu’on ◀l’▶exerce « librement ».
Mais ◀le▶ choix, proprement politique au sens ◀le▶ plus large du mot, est ◀le▶ choix ◀d’▶une finalité. Il désigne ◀l’▶aménagement des relations humaines dans ◀la▶ communauté et ◀l’▶art ◀de▶ piloter, c’est-à-dire ◀de▶ « gouverner » une communauté — locale, régionale, nationale — vers des fins choisies par un chef, un parti ou, au contraire, par ◀l’▶ensemble des citoyens après une libre discussion. ◀Le▶ choix proprement politique est ◀le▶ choix ◀d’▶une priorité, à laquelle ◀les▶ moyens ont pour devoir ◀de▶ concourir.
Choisir ◀les▶ centrales nucléaires — quelle que soit leur définition, eau pressurisée ou surgénérateurs — implique, entraîne et détermine des constructions énormes par leurs dimensions, incroyablement chères et si dangereuses que nos pays, tout en jurant qu’elles sont inoffensives, ne ◀les▶ bâtissent qu’aussi loin que possible ◀de▶ leur capitale.
◀Les▶ adversaires des centrales qui ◀les▶ dénoncent comme gigantesques, trop chères et trop dangereuses, ignorent qu’ils dénoncent là ◀les▶ raisons mêmes qui font que nos États ◀les▶ adoptent. Car « très grand » suppose, qu’on ◀le▶ veuille ou non : très centralisé. « Très cher » implique ◀l’▶intervention ◀de▶ ◀l’▶État dans ◀les▶ investissements majeurs, et un bon en avant du PNB, mesure des dépenses nationales. Enfin « très dangereux » exige à la fois un contrôle policier pour ◀le▶ moins décuplé et ◀la▶ suprématie ◀d’▶un personnel spécialisé jusqu’à ◀l’▶infaillibilité (indémontrable !) et ceci pendant ◀les▶ cent-mille ans, au minimum, requis par ◀la▶ surveillance quotidienne des déchets ◀de▶ nos centrales nucléaires accumulés pendant ◀le▶ petit quart ◀de▶ siècle qui nous sépare ◀de▶ ◀l’▶an 2000.
À ◀l’▶inverse, ◀le▶ choix ◀de▶ ◀l’▶énergie solaire implique et favorise ◀la▶ formation ◀de▶ groupes, ◀de▶ communes, ◀de▶ régions à la fois autonomes par volonté civique et incapables par leurs dimensions restreintes ◀de▶ déclencher et ◀d’▶entretenir une guerre.
Il est clair comme ◀le▶ jour que ◀le▶ choix des centrales nucléaires et des usines ◀de▶ retraitement du métal infernal qui permet ◀de▶ faire des bombes, augmente chaque jour ◀les▶ chances ◀de▶ ◀la▶ guerre atomique, c’est-à-dire ◀de▶ ◀la▶ fin ◀de▶ ◀l’▶histoire humaine. Il est non moins clair que ◀le▶ choix solaire est ◀la▶ condition même ◀de▶ ◀la▶ paix : car il signifie du même coup ◀la▶ fin ◀de▶ ◀la▶ centralisation autoritaire et militaire et ◀l’▶avènement des régions autonomes, grâce à ◀l’▶appui du ciel et ◀de▶ ses longs regards sur notre terre.
Choisir ◀les▶ unités locales, voire familiales, ◀d’▶énergie solaire, c’est restaurer ◀la▶ possibilité, pour des centaines ◀de▶ milliers ◀de▶ foyers dans chacun ◀de▶ nos pays européens, ◀de▶ se rendre indépendants, ◀de▶ se faire « Suisses », ◀de▶ recréer des cadres ◀de▶ participation civique.
◀L’▶autonomie énergétique ◀d’▶un foyer, c’est ◀la▶ définition ◀de▶ ◀l’▶autonomie civique. « Small is beautiful », disait E. M. Schumacher, parce que small permet seul, et très vite pour des questions ◀de▶ dimensions, ◀l’▶autonomie, ◀l’▶autosuffisance en cas ◀de▶ nécessité, ◀la▶ confiance dans ◀le▶ prochain.
Ce qu’il faut voir, c’est que ◀le▶ but ◀de▶ ◀la▶ société n’est pas du tout ◀d’▶assurer à quelques-uns ◀la▶ rentabilité ◀de▶ leur entreprise, mais ◀de▶ permettre au plus grand nombre ◀la▶ réalisation ◀de▶ leur vocation. ◀De▶ leur personne.
◀Le▶ problème des centrales nucléaires n’est pas technologique, même pas économique, et il est encore moins financier : car à ces trois niveaux, ◀la▶ cause est entendue : elle est perdue. Quand ◀les▶ centrales nucléaires ne représenteraient aucun danger, quand elles s’avéreraient rentables, quand il serait réellement « impératif » que ◀la▶ consommation ◀d’▶énergie double tous ◀les▶ dix ans, je serais contre, parce qu’elles sont ◀les▶ pièces principales ◀d’▶un système qui conduit à renforcer ◀l’▶emprise universelle des États-nations, c’est-à-dire ◀les▶ risques ◀de▶ guerre.
Pluton est maître des Enfers, il est aveugle comme ◀les▶ taupes. Mais ◀le▶ soleil vient du ciel, vient de Zeus, c’est-à-dire ◀de▶ « celui qui voit très loin ».