(1961) La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961) « Saint-Évremond ou L’humaniste impur, par Albert-Marie Schmidt (octobre 1933) » pp. 621-622

Saint-Évremond ou L’humaniste impur, par Albert-Marie Schmidt (octobre 1933)m

Il est plaisant de voir un jeune auteur obtenir de nos jours un effet de surprise par l’emploi d’un style poli, nombreux, toujours plein d’onction, parfois même de pompe. Tel est le premier succès de cet ouvrage. Il en révèle peut-être aussi certain défaut : Albert-Marie Schmidt domine trop constamment et trop aisément son sujet. Non point qu’il le maintienne arbitrairement dans les cadres d’une dogmatique morale : c’est plutôt qu’il suit Saint-Évremond de trop près dans les méandres de son éthique. Certes, il en fait valoir ainsi toutes les nuances, avec un art égal à son modèle. On voudrait pourtant qu’il lui donne parfois libre carrière, qu’il ne le garde point sans cesse à portée d’un coup de patte qu’il s’abandonne lui-même à sa fantaisie, la plus joyeusement érudite que je connaisse. Tel qu’il est, ce petit volume nous offre un jeu serré et subtil, et dont le spectacle n’est pas vain.

M. Schmidt ne s’en laisse point imposer par la « réussite classique ». Il place Saint-Évremond, théoricien spirituel et serein de la sagesse du grand siècle, sous le coup de la question capitale qu’on voudrait poser sous cette forme : la vérité est-elle en déca ou au-delà du désespoir, dans les mesures humaines ou dans la folie divine ? Il semble bien que Saint-Évremond ait jusqu’au bout refusé de choisir. Il croit pouvoir entretenir avec Dieu des rapports de politesse. Cela pourrait bien être la formule du désordre intérieur maximum. Rien ne le dissimule mieux que le demi-sourire d’une raison éclairée et mondaine.

La nouveauté de l’essai d’Albert-Marie Schmidt est d’avoir su déceler la corruption secrète de cet art trop parfait, « qui supprime les plus angoissants problèmes, à force de les éclaircir », et l’impureté d’un humanisme que l’on croyait tempéré et limpide, mais que l’on voit « s’échauffer, se brouiller » aux premières instances d’un choix radical et véritablement ordonnateur. Le chapitre le plus remarquable de cette brève et dense biographie intellectuelle, le plus juste aussi pour Saint-Évremond, expose ses idées sur la société. On y verra comment il se peut faire que les tyrannies sociales, mondaines ou politiques, trahissent par leur raffinement, par leur perfection même, une anarchie spirituelle dont elles constituent probablement l’unique remède. C’est comme la genèse individuelle et religieuse de ce fait trop actuel, qu’Albert-Marie Schmidt nous restitue au cours de son essai de critique exemplaire.