Introductiona
J’ai longtemps réfléchi aux rapports de l’écrivain et de l’événement se définissant l’un par l’autre et se mettant l’un l’autre en question. Mon premier livre paru à Paris en 1934, Politique de la personne , s’ouvrait par un chapitre sur « l’engagement » du clerc, sa nécessité inéluctable malgré sa vanité, voire son « ridicule » toujours possible. Le recueil tout entier, d’ailleurs, appelait à l’engagement, terme nouveau mais dont la fortune fut rapide. Depuis ce temps lointain, la notion d’engagement a fait comme demi-tour dans l’esprit du public : on croit▶ bonnement qu’un auteur engagé est celui qui s’en est remis une fois pour toutes à la politique d’un parti, quand il s’agit de prendre une position publique.
L’engagement supposait à mon sens tout le contraire : responsabilité pleine et entière non seulement publiée mais assumée d’une personne et de sa pensée en corps à corps avec l’époque. « Présence au monde et à soi-même conjointement », disais-je en 1934. Mais on a glissé depuis lors à des sens partisans, militants, voire quasi militaires du terme d’engagement. Mon sens était plutôt poétique, si j’ose dire, moral, religieux, et concret. De l’intime à l’ultime, il supposait un passage obligé par le proxime, la proximité, le prochain, c’est-à-dire la cité humaine, et ce passage, précisément, était pour moi le lieu de l’engagement.
Est-il encore praticable ? Autrement dit : quelle peut être aujourd’hui, au fait et au prendre, la responsabilité de l’écrivain dans la cité, c’est-à-dire dans la société européenne ?
Responsable est celui qui peut dire, dans une situation donnée : j’en réponds. Mais de quoi l’écrivain comme tel peut-il répondre, sinon de son œuvre elle-même, de sa pensée et de son style ? C’est par son œuvre et non par quelque « prise de position » occasionnelle, face à l’événement historique, qu’un écrivain est engagé ou non. Telle est ma thèse principale sur le problème de l’engagement.
Mais avant d’y venir, je ◀crois nécessaire de rappeler qu’aux origines ce problème ne pouvait simplement pas se poser.