(1969) Articles divers (1963-1969) « Le mariage est à réinventer (14 avril 1969) » pp. 29-44

Le mariage est à réinventer (14 avril 1969)ab

Le remariage, ce n’est pas seulement « le triomphe de l’espérance sur l’expérience », c’est aussi celui de la maturité sur la jeunesse (voir Elle n° 1215) : les hommes se marient en moyenne à 25 ans la première fois et à 41 ans la deuxième, les femmes à 22 ans et à 38 ans. À 41 ans et à 38 ans, on a généralement quelques souvenirs, quelques cheveux blancs et des enfants du premier lit : ça pose des problèmes (voir Elle n° 1216) mais on ne fait pas pour autant un remariage de « raison », de consolation. Le second mariage, ce n’est pas la session de repêchage, c’est la saison des amours vraies, solides, bien bâties. On a passé l’âge de Roméo et Juliette, mais on espère bien arriver à Philémon et Baucis. On en est encore très loin : pour beaucoup de femmes, le second mari c’est aussi l’amant légitime, l’homme qui fait découvrir les délices et les délires de l’amour physique tels qu’on ne les soupçonnait guère à 20 ans, tels qu’on espère les connaître longtemps. Amours, délices et mairie (pas d’orgues pour les divorcés), le remariage c’est souvent l’heureux mariage qu’on n’a pas su réussir du premier coup.

Mais faut-il vraiment se marier deux fois ? Denis de Rougemont a accepté de faire pour vous le tour de ce problème de notre époque qui a été aussi son problème à lui ; Denis de Rougemont n’est pas seulement l’écrivain qui a le mieux analysé et expliqué l’amour et le couple, il est aussi depuis seize ans le (deuxième) mari de Nanik et il forme avec sa (seconde) femme l’un de ces couples dont on dit simplement : « C’est un vrai couple. »

Le remariage est non seulement un problème d’actualité mais un problème d’avenir. C’est une conséquence du divorce plus fréquent mais aussi du progrès médical. Ce qu’on nomme « l’espérance de vie » ayant doublé, cela double aussi les « chances » arithmétiques et psychologiques de divorce, donc de remariage. Il y a la facilité de plus en plus grande offerte par la législation — dans tous les pays — aux gens qui veulent divorcer : le nombre des foyers détruits par le divorce équivaut en 1968 au nombre des foyers détruits il y a cinquante ans par la mort de l’un des conjoints.

Il y a la mobilité actuelle succédant à la stabilité d’autrefois. Mobilité non seulement géographique mais sociale et professionnelle qui donne aux gens l’occasion de vivre plusieurs vies — on change de pays, d’emploi, de milieu avec une facilité croissante et on admet avoir d’autres aspirations à 40 ans qu’à 20 ans. D’où la multiplication des déséquilibres dans un couple — le cas classique de la femme qui n’a pas su « suivre » son mari ou l’inverse. Il y a enfin la remise en question quotidienne du mariage : chacun sait désormais qu’il y a problème et qu’on peut en parler, qu’il faut même en parler librement et sérieusement.

La crise du mariage et la cellulite sont même devenues les deux mamelles de la presse féminine mais curieusement on n’en arrive jamais au remariage. Pourquoi ?

L’une des grandes difficultés du sujet tient à ce qu’il n’existe pas de littérature romanesque sur le second mariage et peu ou point de témoignages publiés (enquêtes sociologiques, enquêtes psychologiques). Il faudrait pouvoir comparer les âges et les motivations des conjoints lors du premier et du second mariage. Analyser leur évolution, les réactions des enfants, etc.

Il faut aussi savoir distinguer ce qui tient aux acteurs — les conjoints — et ce qui tient à la situation en soi, qu’est le deuxième mariage. Faute de matériel, je me vois réduit à ma propre expérience et à celle des couples remariés que je connais.

La première fois, on épouse ses complexes

D’abord la grande question : pensez-vous que le deuxième mariage soit plus heureux que le premier ?

Ce qu’on peut dire avec certitude, c’est qu’il a beaucoup plus de chances de l’être : il y a des écueils inhérents à un premier mariage qui ne le sont plus à un second.

Comme dit mon beau-père, le Dr Répond, qui est psychanalyste, lors du premier mariage, on épouse ses complexes. Or, contrairement à ce que fait croire le langage courant, avec des phrases comme « Je suis pleine de complexes » ou « Il me donne un complexe d’infériorité », les complexes sont des ensembles de réactions et d’associations affectives formés dans l’enfance et restés inconscients. On ne connaît pas ses complexes, ils nous dirigent à notre insu, à notre corps défendant et c’est en quoi ils sont gênants, voire dangereux. Les motivations du premier mariage sont la plupart du temps inconscientes. Complexe d’Œdipe, recherche d’un type de conjoint qui est (sans qu’on le sache) celui de la mère, ou du père. Ou au contraire, inhibition devant une femme aimée, parce que l’inconscient l’assimile à la mère interdite… Ces fixations amoureuses dues à des motifs inconscients ont bien des chances de correspondre à la réalité des êtres et de leur vie à deux ! On tombe amoureux d’une image sans le savoir. Et l’on se trouve marié avec une femme réelle, bien différente. Elle, eh bien, elle a aussi son image de l’homme qui lui fait faire les mêmes erreurs. « Je suis tombée amoureuse de lui avant même qu’il ait dit un mot… »

Y a-t-il des causes d’échec qui soient plus spécifiquement attachées à telle classe d’âge ?

Oui, l’immaturité des conjoints, souvent accompagnée du désir (conscient ou non) de se libérer de sa famille, cas plus fréquent qu’on ne pense chez les jeunes filles surtout. Spécifique de la jeunesse, aussi, cette façon de balayer l’expérience des autres, ce refus de tenir compte des données de fait : goûts, situation, milieu social. On balaye avec un beau mépris les objections des autres, celles des parents, en premier lieu ; leur couple est-il si bien réussi ? On pense que le seul moyen de réussir ce qu’ils ont raté c’est de prendre le contre-pied de leurs conseils. Ce qui conduit souvent à un mariage « d’attitude » : on veut prouver aux autres — et à soi-même qu’on sait ce qu’on veut et qu’on n’a besoin de personne. Moins on est sûr de la durée de ses sentiments, plus on s’entête et plus on se dépêche. À 20 ans, il est classique de se marier en claquant la porte. Mais la cause d’échec la plus fréquente et la plus grave c’est la confusion entre l’amour véritable et la passion, puis entre la passion et le mariage. L’erreur fondamentale, c’est de vouloir « épouser Iseut ». Car la passion n’est pas comme on l’imagine volontiers un super-amour mais une certaine forme d’amour qui veut l’obstacle et qui l’invente au besoin pour mieux s’exalter. La passion suppose toujours entre le sujet et l’objet — Tristan et Iseut — un roi Marc qui les sépare : la morale, la société, le père, le mari ou simplement les circonstances réelles.

L’ennemi n° 1 du mariage, c’est la passion

Mais où est le roi Marc entre le garçon et la fille qui se marient « avec passion » ?

Il n’y en a plus, aujourd’hui. Il n’y a plus d’obstacle objectif : si l’un des deux est marié, il n’a qu’à divorcer et tout s’arrange. Aussi n’est-ce pas la morale sociale qui détruit la passion, mais le manque d’obstacles, la quotidienneté, la banalité.

Ne peut-on pas imaginer une passion qui ne serait pas fatale, qui pourrait flamber au grand jour et même au jour le jour ?

Non, la passion implique la fatalité. La passion dit : « Oui, j’aime une telle, son caractère et ses goûts seront peut-être incompatibles avec les miens mais c’est plus fort que moi, il arrivera ce qu’il arrivera, ce n’est pas ma faute. » La fatalité, c’est l’alibi. Et il est nécessaire d’en avoir un, de pouvoir accuser le sort, puisque la passion sera forcément malheureuse.

Le défi sentimental du passionné

Vous avez démontré dans L’Amour et l’Occident que l’amour tel qu’on le rêve — l’amour-passion — est né avec « Tristan et Iseut » et que, depuis des siècles, nous vivons sous l’emprise de ce mythe dégénéré en romans, opéras, puis films, chansonnettes, etc. Ce n’est donc pas une invention récente. Or la crise du mariage n’a pas six siècles. Quel rapport y a-t-il entre l’un et l’autre ?

C’est qu’autrefois on se mariait pour des raisons : fortune, terres, agrément du caractère et du physique, et on restait marié pour des raisons : religieuses, sociales, familiales. La passion, on la rencontrait ou en tout cas on la cherchait ailleurs. Vouloir fonder le mariage sur la passion est une exigence récente, ou plutôt une aberration récente : c’est vouloir fonder une institution faite pour la durée sur un état passager, sur une crise affective. La passion retranche du monde comme la fièvre ; quand la fièvre est retombée, la réalité est là : les problèmes inéluctables que posent les caractères et les tempéraments. On pense toujours qu’on sera l’exception, qu’on réussira où les autres ont raté. C’est le défi sentimental, le défi téméraire et dérisoire du passionné.

Tout ça, ce sont les défauts possibles et même courants d’un premier mariage. Ces causes d’échec sont-elles automatiquement éliminées quand on se remarie ?

Pas automatiquement du tout. Quand l’expérience n’a pas été comprise, on se remarie trois fois, quatre fois, cinq fois, ce sont les cas désespérés. Mais le cas intéressant, et heureusement le plus courant, c’est un premier mariage raté suivi d’une réflexion lucide sur les causes de cet échec et de déductions constructives. Normalement, tout ira mieux. Parce qu’on est « vacciné » : on dépend moins des autres — parents, entourage — on est donc moins poussé à braver leur opinion, à faire un mariage « d’attitude ». On est plus conscient et on ne se joue plus la comédie — ni aux parents. On a compris que l’essentiel ce sont les caractères, qui ne changent jamais (« on ne peut pas changer de place les raies du zèbre », dit un proverbe oriental) et, comme on a pris conscience de la nécessité de la durée, on accorde une plus grande attention à la compatibilité des caractères, aux éléments durables et indispensables à la durée du mariage.

Attention, ne vous remariez pas pour vous venger

N’y a-t-il pas des causes d’échec spéciales à un deuxième mariage ?

Oui, il y en a deux, qui tiennent, elles aussi, à ses motivations. La peur de la solitude, la peur de rester « en carafe » peut pousser à un remariage précipité. Et aussi le désir de prendre une revanche, de marquer un point sur son ex-conjoint (comme dans le premier mariage, on voulait défier les parents). Le divorce, quoi qu’on en dise, est toujours ressenti comme un échec. Mais autant il est bon de vouloir en tirer une leçon, de vouloir faire mieux la deuxième fois, autant il est mauvais de vouloir se venger de cet échec, de se remarier très vite pour narguer l’ex-conjoint : « Tu vas voir comme je vais être heureuse sans toi. » C’est une réaction infantile.

Et des difficultés particulières une fois qu’on est remarié ?

C’est ici qu’il s’agit de distinguer ce qui tient aux « acteurs » et ce qui tient à la situation. Ce qui tient aux acteurs ce sont les difficultés inévitables de la vie en commun, les heurts, les déceptions, les contraintes matérielles, professionnelles, etc. Quant à la difficulté de la situation elle tient en une phrase ou un fait évident et qui sera ressenti plus ou moins douloureusement : ce n’est plus la première fois.

Cette deuxième fois n’a davantage de chances de réussir que s’il n’y a pas nostalgie de la passion chez l’un ou chez l’autre. Se dire : « La première fois j’ai souffert, cette fois-ci je vais faire au contraire un mariage de tout repos », est un autre piège. Notre mentalité, influencée par l’héritage littéraire occidental, surestime la passion et sous-estime les caractères, les goûts et les antécédents. Un mariage où il n’y aurait que des « convenances » a plus de chances de durer mais guère plus de chances de bonheur qu’un mariage où il n’y aurait que de l’amour.

Le vrai amour c’est le contraire de la passion

Il faut donc « quelque chose de plus » et ça ne peut être la passion. Quel est ce « quelque chose » sans lequel les caractères, les goûts, les aspirations communs ne réussiraient qu’un mariage de raison ?

C’est l’intuition du véritable moi de l’autre. C’est l’acceptation de cet être tel qu’il est, limité et réel mais secrètement en marche vers lui-même que l’on choisit, non pas comme prétexte à s’exalter ou comme objet de contemplation, mais comme une existence incomparable et autonome à laquelle on voudrait participer : voilà la plus profonde tendresse. Le passionné cherche son « type de femme », souvent l’image de la mère sans qu’il s’en doute, ou alors une certaine beauté qui est l’idéal standard de sa génération. Sa passion n’est que la projection sur l’autre d’un idéal qui n’existe pas — et l’on s’en aperçoit très vite — alors que le vrai amour est agent de personnalisation par excellence : ce qu’il a su voir c’est l’irremplaçable, l’unique, ce que chaque être peut devenir s’il y est appelé. C’est son mystère, qui n’a rien de littéraire, de romantique, le mystère de sa réalité différente.

Le deuxième mariage ayant en général de meilleures chances, faut-il en arriver à le prôner systématiquement ?

Je pense que des solutions « préventives » sont infiniment préférables. Il faudrait tout d’abord dédramatiser tout ce qui touche à l’amour, au mariage, au divorce. À la surestimation de la passion, issue du mythe de Tristan, et de toute la littérature romanesque, se sont ajoutés tous les tabous sexuels du xixe siècle. L’effet de révélation produit par l’œuvre de Freud, cette impression « qu’il expliquait tout », vient de ce que pour la première fois, grâce à ce savant et à ses recherches « scientifiques », on osait parler du sexe ! Aujourd’hui on parle du sexe — d’abondance — mais, en ce qui concerne l’amour, beaucoup de gens continuent à croire que l’analyser l’amoindrit. Une passion « inexplicable » paraît plus forte qu’un amour justifié par de bonnes raisons. Or il faudrait toujours pouvoir analyser les motivations de son mariage. De même et plus encore pour le divorce : si l’on veut en tirer une leçon, il est essentiel de ne pas le refouler comme un acte dont on a honte ou peur.

Je suis pour le « mariage-maquette »

Ceci appelle donc une réforme de la mentalité. On va souvent jusqu’à la réforme des mœurs lorsqu’on envisage le « mariage à l’essai ». Qu’en pensez-vous ?

Je suis pour tout ce qui peut aider les gens à prendre conscience du sérieux, de la beauté, mais aussi de la difficulté du mariage et je pense que « l’essai » peut aider. Bien sûr, l’expérience est limitée : on sait que ça pourrait ne pas durer et l’on décide qu’on n’aura pas d’enfants ; il n’y aura donc pas de victimes. Appelons cette expérience un « mariage-maquette », un numéro zéro comme celui qui précède dans les revues la sortie du numéro 1, le premier numéro officiel. Ce type d’expérience se répand de plus en plus dans le milieu étudiant. C’est très supérieur aux fiançailles traditionnelles qui fortifiaient par des obstacles artificiels — défense de cohabiter, de faire l’amour, de partir ensemble en vacances — l’idée de passion. Et qui négligeaient toutes les difficultés réelles, celles qui naissent de la cohabitation. Là, on vit, on travaille, on organise son budget ensemble.

Les parents ne sont pas toujours très favorables au « mariage-maquette » ?

Ils ont tort. L’Église leur donne l’exemple en exigeant avant l’entrée en religion plusieurs années de noviciat. D’ailleurs il n’est pas question d’essais multiples. Pour avoir une valeur expérimentale il faut qu’un mariage-maquette se prolonge plusieurs années. Aucun rapport avec les amourettes et liaisons nouées sans idée de durée.

Mais il y a quand même des différences énormes avec un vrai mariage : il manque les enfants et il manque tout le côté social — être reconnu par les autres comme un vrai couple, ce qui est un ciment — et surtout l’idée que ça doit durer toujours. « Après tout, je ne suis pas mariée avec lui », se dit-on au premier accrochage sérieux et ça n’incite pas à l’effort, à la tolérance, l’amour difficile. Il manque le pacte. L’engagement total. Je ne crois pas à la valeur magique du « oui » solennel mais bien à la valeur psychologique de protection qu’il y a dans la décision « pour toujours » anticipant la plus longue durée. Le but lointain dégage une plus grande énergie — pour le rejoindre — que le but proche. Quand je faisais mon service militaire on nous imposait des marches d’entraînement et j’ai fait à cette occasion une découverte qui a joué un rôle important dans ma vie : si l’on part pour une promenade d’une heure, on traîne la patte après trois quarts d’heure. Quand nous pensions que nous aurions 20 à 30 km à couvrir, nous commencions à être fatigués au bout de 10 à 12 kilomètres. Mais quand nous avons su que cette fois-ci c’était sérieux, que nous partions pour la marche finale de 140 km, nous n’avons ressenti aucune fatigue pendant les 20 premiers kilomètres. Le corps s’était disposé pour le long effort, la longue durée. Il ne se permettait pas de flancher, n’acceptait simplement pas la fatigue et cela changeait tout.

La valeur du « oui » solennel

Mais vous n’avez pas fait lors du premier coup une marche de 140 km ?

C’est pourquoi le mariage-maquette peut être considéré comme une marche d’entraînement. Le seuil de fatigue et de lassitude sera infiniment plus élevé ou plus éloigné dans la « longue marche » qu’est le vrai mariage. Pour avoir toute sa valeur il faut aussi que le pacte soit sans arrière-pensée. J’ai assisté, en Amérique, au mariage d’une jeune héritière qui répétait avec enthousiasme : « Comme c’est merveilleux de se marier pour la première fois ! » Voilà qui ne laissait pas prévoir autre chose que les quatre ou cinq échecs qui ont suivi.

Donc le mariage-maquette donne une idée de ce qu’est le mariage, mais ne peut guère, faute de pacte, remplacer le premier mariage. Faut-il donc élever ses filles, comme le préconise Margaret Mead, dans l’idée qu’il est normal et inévitable de divorcer ?

Il vaudrait beaucoup mieux leur apprendre que la vraie vie, c’est la vie quotidienne et qu’elle n’a rien de terne et d’ennuyeux (si les gens ne sont pas eux-mêmes ternes et ennuyeux). Car enfin qu’est-ce qu’un premier mariage ?

La confrontation de la passion ou plutôt, soyons réalistes, du désir de ressentir une passion, qui fait croire que « ça y est », avec la réalité. Quand les gens cesseront de croire que la passion est l’épreuve privilégiée qui seule donne un sens à la vie, quand ils comprendront que la passion n’est jamais une raison de se marier mais au contraire une raison de ne pas se marier, et qu’être heureux longtemps avec quelqu’un vaut mieux qu’être intensément désespéré à cause de lui pendant huit jours, la crise du mariage sera résolue en principe et la majorité des divorces évités. Mais l’emprise du mythe est tellement forte que notre vocabulaire le plus courant en est atteint : « passionnant » c’est bien mieux qu’intéressant. Il ne s’agit d’ailleurs pas de condamner la passion. Les troubadours, les romanciers de la Table ronde, Tristan ont affiné et « compliqué » les sentiments, donc ont fait faire d’énormes progrès à la conscience collective. Mais ne prenez pas le virus comme base de la santé, ne fondez pas le mariage sur ce qui vit de sa crise et l’entretient !

Et le mariage lui-même, pensez-vous qu’il doit être « modernisé » ?

Le mariage ne peut renoncer ni à la durée ni à la fidélité. Un mariage c’est une œuvre d’art, une construction à deux et comme toute création il a ses difficultés. Il faut sans cesse comprendre à nouveau, risquer et se risquer, découvrir et inventer. La fidélité n’est pas un luxe, une coquetterie morale et encore moins une « convenance » ou un « agent de répression », elle est la base indispensable d’une création.

Quand un peintre commence une toile il doit sans cesse lutter contre le doute (est-ce que ça vaut vraiment la peine ?), la paresse (c’est bon, je vais tout plaquer !), le désordre, l’envie d’entreprendre plusieurs tableaux à la fois, de tout saccager lorsque ce qu’il fait paraît trop éloigné de ce qu’il voudrait faire. De même le mariage exige que l’on se consacre à l’autre avec continuité ! C’est le contraire du « coup de foudre » aveuglant, de la passion « fatale » mais changeante et de l’amour subi, irresponsable. La fidélité c’est bien autre chose que de se borner à ne pas tromper sa femme : c’est une œuvre d’art exigeante et qui tente le meilleur en chacun de nous. Je sais bien que depuis des siècles, la fidélité nous est présentée comme une sorte de devoir sinistre, une mutilation volontaire : nous n’avons pas été élevés pour être heureux ! Le contraire de la folie, du déséquilibre, de la passion, dans l’esprit des gens, c’est l’ennui.

En somme, lorsqu’un homme pourra dire à une femme : « Je suis sage de toi », le mariage sera sauvé ! Qui l’osera ?