(1973) Articles divers (1970-1973) « Recréer la place publique (1er juillet 1973) » p. 395

Recréer la place publique (1er juillet 1973)al

Dire que j’approuve les idées de ces douze articlesam serait faible : je m’y reconnais. Il s’agirait maintenant de les illustrer. Car elles demeurent assez difficiles et abstraites sous la forme condensée que demande le journal.

Je voudrais souligner une idée dominante : que les structures d’une cité peuvent interdire la vie communautaire — c’est le cas de nos villes — ou au contraire la favoriser, l’aménager.

Encore faudrait-il décrire ces structures. J’ai toujours soutenu que la démocratie, au sens actif et créatif du mot, n’est pas possible, s’il n’y a pas une « agora » ou un « forum » — une « place » au cœur de la cité. Si la place du village, du quartier, de la ville, n’est plus qu’un parking, et si les rues sont livrées aux autos qui essaient au mieux de s’éviter, non aux piétons qui aimeraient se rencontrer, la démocratie n’existe plus, ses racines sont coupées et ses sources taries.

Dans cet article conclusif, il est question de fédéralisme première et deuxième manière. Je suis pour la deuxième. Ramuz était pour la première. Il me disait un jour au Central, à Lausanne : « Entre nous, nous sommes fédéralistes, je veux bien dire séparatistes » (parlant de Berne).

Non, le fédéralisme n’est pas l’autarcie cantonale, l’État-nation cantonal, la fermeture du canton sur soi-même ! Le fédéralisme est une méthode pour garantir le maximum d’autonomie des unités fédérées, grâce à un minimum de services communs. Mieux : c’est une répartition des services étatiques, une redistribution des compétences selon la loi suivante :

— placer le pouvoir de décision au niveau communautaire correspondant aux dimensions des tâches à résoudre. Le chemin vicinal ressort de la commune, l’autoroute continentale, de la fédération.

Discuter tout cela « dans la rue » ou « sur la place publique », à la bonne heure ! Mais encore faut-il qu’elles existent, cette rue, cette place publique, où le beau mot de voisinage reprenne son sens.

J’applaudis au projet d’une grande discussion sur le sens concret de l’expression « propriété socialisée ».

Pour nous y préparer, lisons Proudhon, que l’on trouve aujourd’hui en livre de poche. L’affaire Lip est déjà prévue, définie, et à mon sens résolue, dans la pensée du grand fédéraliste franc-comtois.