Pierre Drieu la Rochelle, La Suite dans les idées (mai 1927)al
« De quoi s’agit-il▶ ? de détruire ou de rafistoler ? » Entre ces deux tentations, cédant à l’une autant qu’à l’autre, Drieu s’examine. Encore un ? Non, enfin un. Tous les autres y ◀ont▶ apporté de secrètes complaisances, ou une arrière-pensée d’apologie, ou même simplement un besoin d’être aimés qui faussaient leurs voix pour les rendre plus touchantes. Celui-ci bat sa coulpe avec une saine rudesse. « ◀Il▶ s’examine jusqu’au ventre de sa mère et cognoit que dès lors ◀il▶ ◀a▶ esté corrompu et infect et adonné à mal » (Calvin). Le tableau n’est pas beau, mais on y sent une « patte » qui révèle encore dans le fond quelque chose de solide, d’authentique. J’aime cette violence de redressement où je distingue bien autre chose que les « éclats de l’impuissance ». Un plus délicat ◀eut▶ compris que certains des morceaux très divers qui composent ce livre sont bien mauvais, à côté d’autres magnifiquement jetés. Mais cette imperfection, s’◀il▶ ne peut encore s’en tirer, du moins l’avoue-t-◀il▶ avec une franchise qui la rend sympathique.
Et puis, tout de même, on est bien heureux de rencontrer chez les jeunes écrivains français un homme qui ◀ait▶ à ce point le sens de l’époque, une vision si claire et si tragique de la civilisation d’Occident. Les questions capitales posées ailleurs depuis longtemps par des maîtres comme Keyserling, Ferrero, commencent à être prises au sérieux en France par quelques jeunes gens. ◀Il▶ faut louer Drieu d’◀avoir▶ échappé au surréalisme en tant qu’◀il▶ n’est que le triomphe de la littérature sur la vie, mais d’◀avoir su en garder une passion pour la pureté, un « jusqu’au boutisine » qui seul peut redonner quelque vitalité à notre civilisation, — et je sais bien que c’est là un des signes de sa décadence. Il y a du chirurgien chez ce soldat devenu « scribe » et qui s’en exaspère. Souvent maladroit, incertain, brutal : mais faisons-lui confiance, voici un homme d’aujourd’hui, presque sans pose, et décidé à mépriser le bluff.