Francfort, 16 mars 1936 (avril 1936)s
Un témoin de nos amis nous envoie ces notes. Nous les▶ publions à titre documentaire. Il faut mesurer tout ◀le▶ volume du fanatisme hitlérien pour savoir penser au bout du compte : « ◀La▶ vraie lutte commence là ».
« Anti-fascistes », nous ◀le▶ sommes tous ici, s’il s’agit de prendre parti, en France, contre un mouvement politico-social qui voudrait refaire ◀le▶ coup de Mussolini, ◀le▶ coup d’Hitler. Simplement, un tel mouvement n’aurait aucune justification historique dans un pays qui a fait ◀la▶ Révolution de 89, et qui est déjà une nation. Mais condamner ◀le▶ « fascisme » allemand, et fonder sur cette condamnation une politique européenne, c’est à peu près aussi intelligent que de se déclarer ◀l’▶adversaire des avalanches et des marées, pour des raisons idéologiques. On entend des gens à Paris, qui soutiennent que ◀le▶ fait-nation est une méchante farce inventée par ◀la▶ bourgeoisie, en guise de dernière défense contre ◀le▶ communisme. Ces gens-là n’ont probablement jamais voyagé au-delà des marges du Capital. Si du moins ils avaient été en Russie, il y aurait quelques chances de leur faire comprendre ce que c’est qu’une révolution de masses, au sens moderne. Et que ça n’a pas ◀le▶ moindre rapport avec ◀la▶ « politique » au sens habituel ; mais ◀les▶ plus grands rapports avec ◀la▶ religion au sens égyptien, chaldéen, aztèque… Pour autant que ◀l’▶on peut comparer à quoi que ce soit de supposé connu des mouvements aussi totalement « étranges » et « profonds », et qui transcendent toutes ◀les▶ catégories de pensée rationnelles, individualistes, bourgeoises ou marxistes.
Mais je désespère presque de donner ◀la▶ moindre « idée » de ◀la▶ réalité nationale-socialiste à un homme, même de bonne volonté, qui n’aurait pas « vécu » (comme disent ◀les▶ Allemands : Miterlebt) une des grandes cérémonies de ◀la▶ religion nouvelle. Par exemple un discours du Führer à son peuple.
Je roulais ces pensées, hier soir, debout parmi ◀la▶ foule qui n’avait pas trouvé de places assises dans une halle de 30 000 places, et qui attendait, massée au fond, dans ◀les▶ travées et ◀les▶ porches, depuis quatre grandes heures, ◀l’▶arrivée du Führer. Et au-dehors, battant ◀les▶ murs de ◀la▶ halle, cent-mille hommes et femmes attendaient sous ◀les▶ haut-parleurs. Et sur toutes ◀les▶ places de ◀la▶ ville, depuis ◀le▶ matin, et dans 45 salles où ◀les▶ formations d’assaut avaient leur « appel général », des dizaines de milliers attendaient.
J’étais venu pour écouter aussi ◀la▶ foule. Je me trouvais au milieu d’ouvriers, de jeunes miliciens du Service de travail, de jeunes filles, de femmes mal vêtues : ils ne disaient presque rien. On se passait un journal, une lorgnette. On se demandait ◀l’▶heure. Des fifres jouaient, accompagnés par ◀le▶ roulement monotone des tambours au rythme lent, deux coups très espacés, trois coups espacés… Du plafond pendaient cent bannières rouges. ◀La▶ tribune avancée au centre de ◀l’▶ovale énorme se dressait au-dessus du parterre, violemment éclairée, fascinante.
À huit heures moins cinq, deux cortèges de bannières vinrent se ranger sur ◀les▶ escaliers de ◀la▶ tribune, aux accents du Deutschland über alles chanté debout, ◀le▶ bras levé. À huit heures sonnant, ◀les▶ lampes à arc s’éteignirent. Des flèches lumineuses gigantesques s’allumèrent sur ◀la▶ voûte, convergeant vers ◀le▶ couloir qui des premières galeries menait à ◀la▶ tribune, et dans ◀la▶ lueur d’un faible projecteur, il parut. Souriant comme en extase, saluant lentement, longuement, s’avançant peu à peu vers ◀la▶ tribune, sous un tonnerre assourdissant de heil rythmés — je n’entendais plus que ◀les▶ cris de mes voisins sur un fond de tempête et de battements sourds — avec des gestes de prêtre, avec une sorte de douceur… Pendant six minutes. Et quand ce hurlement d’amour s’apaisa, on entendait encore une rumeur d’océan au-dehors.
◀Le▶ journal de ce matin écrit : « Lorsque ◀le▶ Führer s’écria : Je ne puis vivre que si ma foi puissante dans ◀le▶ Peuple allemand est sans cesse renforcée par ◀la▶ foi et ◀la▶ confiance du Peuple en moi ! — un seul cri des masses confessant leur fidélité lui répondit. » Cri désignant ici ◀la▶ clameur instantanée de 30 000 hommes dressés d’un seul élan.
Je me souviens aussi de cela : « ◀La▶ puissance de gouverner, je ◀l’▶ai. Mais ce que je cherche, c’est ◀la▶ communion du cœur avec chaque homme de ◀la▶ nation allemande. » De nouveau dressés, saluant à ◀la▶ romaine, ils pleuraient, ils râlaient des heil ! ◀la▶ face énergiquement tendue vers lui.
◀Les▶ journalistes en France parlent d’hystérie collective, d’irrationalisme germanique, etc., et représentent Hitler comme un tribun déchaîné exploitant ◀les▶ haines ◀les▶ plus anormales. Nous n’irons pas loin avec ces innocentes caricatures. Il ne s’agit pas d’hystérie : rien n’est plus discipliné que ces foules. Il ne s’agit pas d’un tribun déchaîné ; il élève rarement ◀la▶ voix, sauf à ◀la▶ fin ; il ne dit que des choses simples, raisonnables, parfois avec ironie, mais sans amertume ; et ses gestes sont souples, n’ont plus rien de ◀la▶ brutalité des années de combat, avant 1933. Il ne s’agit pas de haine : il s’agit d’amour. Il ne s’agit pas de politique, mais de religion, mais de cérémonies monumentales et sacrales en ◀l’▶honneur d’un Dieu nouveau, ◀l’▶âme de ◀la▶ masse, ◀l’▶obscur et puissant esprit de ◀la▶ nation, que ◀le▶ Führer est venu incarner, lui ◀le▶ pur, ◀le▶ simple, ◀l’▶ami et ◀le▶ libérateur invincible… « Une ère nouvelle commence ici. »
Chrétiens, retournez aux catacombes ! Votre « religion » est vaincue, vos cérémonies modestes, vos petites assemblées, vos chants traînants, tout cela sera balayé. Il ne vous restera que ◀la▶ foi.
◀La vraie lutte commence là.