Erreurs sur l’▶Allemagne (1er mai 1940)a
◀Les▶ journaux, ◀les▶ revues et ◀les▶ livres nous apportent chaque jour des jugements plus massifs sur ◀l’▶hitlérisme et sur ses causes. On voudrait rappeler qu’en telle matière, tout jugement massif manque ◀de▶ sérieux, et traduit quelque étourderie.
1. Des hommes aussi divers et aussi respectables que MM. Massis, Henry Bordeaux, Edmond Vermeil, G. de Reynold, d’autres encore, nous affirment que ◀l’▶hitlérisme sort ◀de▶ Luther. Certains d’entre eux nuancent leur jugement. ◀Le▶ cliché reste.
Je vois bien quelles erreurs politiques ◀l’▶on peut reprocher à Luther, avec 400 ans ◀de▶ recul. Je vois bien que, sur ◀le▶ papier ◀l’▶on peut déduire ◀de▶ ces erreurs que Luther conduit à Hitler : il suffit, pour y arriver, ◀d’▶oublier quelques faits importants. Il suffit ◀d’▶oublier, par exemple, que ◀le▶ Führer autrichien n’est pas né luthérien mais catholique ; que son mouvement s’est développé d’abord en Bavière, pays catholique ; que ◀la▶ doctrine ◀de▶ Luther, là où elle a triomphé sans résistance notable, c’est-à-dire en Scandinavie, n’a pas conduit au national-socialisme, mais plutôt au pacifisme et au désarmement (sauf en Finlande), ce qui est peut-être déplorable, mais ce qui n’est pas absolument pareil ; que ◀l’▶Autriche catholique, bien qu’armée, n’a pas résisté à ◀l’▶hitlérisme, alors que ◀la▶ Norvège luthérienne, bien qu’à peu près désarmée, résiste ; qu’enfin ◀le▶ totalitarisme n’est pas ◀l’▶apanage ◀de▶ ◀la▶ seule Allemagne, à demi luthérienne seulement, mais qu’il a triomphé d’abord dans une Russie tout orthodoxe, et dans une Italie toute catholique. Ce qui n’est pas sans compliquer ◀l’▶affaire… Qu’on recherche ◀la▶ coloration particulière que ◀le▶ luthéranisme a donnée au totalitarisme allemand, ◀le▶ catholicisme au totalitarisme italien, ◀l’▶orthodoxie au totalitarisme russe, fort bien. Mais qu’on ne dise pas : Luther mène à Hitler. C’est une sottise et une mauvaise action, si ◀l’▶on songe que ◀le▶ pasteur Niemöller, vrai descendant ◀de▶ Luther, est en prison.
2. ◀Les▶ socialistes et beaucoup de démocrates affirment : Hitler n’est pas ◀le▶ peuple allemand : ◀la▶ masse a été trompée par ses chefs.
Un séjour ◀d’▶une année en Allemagne, ◀de▶ 1935 à 1936, m’a conduit à des conclusions fort différentes. J’ai pu constater que ◀les▶ bourgeois allemands considéraient ◀le▶ nouveau régime comme étant ◀le▶ régime ◀de▶ ◀la▶ masse ; que la plupart des socialistes ◀le▶ toléraient fort bien ; et qu’un très grand nombre ◀d’▶anciens chefs communistes avaient revêtu quelque grade dans ◀le▶ parti hitlérien. L’un d’entre eux me déclarait même que tout en détestant ◀les▶ chefs nazis, « il se ferait tuer pour Hitler », car ◀l’▶ambition réelle du Führer, croyait-il, était ◀d’▶appliquer ◀le▶ programme communiste. (Je donne cette opinion pour ce qu’elle vaut.)
◀Le▶ petit livre que j’ai écrit là-dessus m’a valu deux articles significatifs. Le premier, paru dans ◀l’▶organe officieux du radicalisme français, approuvait sans réserve mon diagnostic ; il soulignait ◀la▶ tendance nationaliste qu’avait toujours montrée ◀le▶ socialisme allemand. Cet article était écrit en connaissance de cause, je puis ◀le▶ dire, puisqu’il était signé par Émile Vandervelde, ancien président ◀de▶ ◀la▶ IIe Internationale. Le second article, paru dans une feuille communisante ◀de▶ Bruxelles, m’accusait froidement ◀d’▶être vendu au régime hitlérien, pour avoir soutenu que des communistes approuvaient Hitler. ◀L’▶auteur ◀de▶ cette diatribe était Mme Jeanne Vandervelde, femme du précédent. Son journal refusa ◀d’▶insérer ma réplique. Six mois plus tard, ◀le▶ pacte hitléro-stalinien ◀la▶ présentait en termes officiels.
3. M. Maurice Muret, dans ◀la▶ Gazette du 27 avril a fort bien réfuté ◀l’▶erreur que je viens de relever, et qui consiste à voir dans ◀l’▶hitlérisme une tyrannie « ◀de▶ droite », détestée par ◀les▶ masses. « ◀Le▶ totalitarisme, écrit M. Muret, est profondément collectiviste. ◀Les▶ socialistes allemands ne s’y sont pas trompés. » Sur quoi ◀l’▶auteur accuse ◀d’▶aveuglement ◀les▶ socialistes français qui, eux, s’y trompent encore. Mais que penser alors ◀de▶ ◀l’▶aveuglement des bourgeois qui s’obstinèrent jusqu’en septembre 1939 à voir dans ◀l’▶hitlérisme « un rempart contre ◀le▶ marxisme » ! (Certains, que je connais, n’en ont pas encore démordu.) Après tout, ◀les▶ socialistes français que critique justement M. Muret, ne sont coupables que ◀d’▶avoir partagé ◀l’▶erreur fatale et prolongée des bourgeois ◀de▶ divers pays.
Si nous prétendons défendre ◀le▶ christianisme, agissons d’abord en chrétiens, et commençons par dénoncer non ◀les▶ erreurs ◀d’▶autrui, mais bien les nôtres. Surtout s’il se trouve qu’en fait, ce sont exactement ◀les▶ mêmes erreurs.
4. Si ◀d’▶aucuns remontent à Luther, d’autres s’en vont chercher encore plus loin ◀les▶ racines ◀de▶ ◀l’▶hitlérisme. M. Edmond Jaloux ◀les▶ trouve, pour sa part (voir ◀la▶ Gazette du 24 avril), dans ◀le▶ romantisme et ◀le▶ goût ◀de▶ ◀la▶ mort qui caractérisent ◀les▶ vieux poèmes germaniques. À quoi s’oppose, selon lui, ◀l’▶énergique génie des Gaulois celtes. Or ◀les▶ vieux poèmes allemands, pour autant qu’ils ne sont pas ◀les▶ traductions ◀de▶ chants islandais ou scandinaves, sont des imitations ◀de▶ légendes languedociennes et bretonnes, donc celtiques. Hubert, ◀le▶ meilleur celtisant français, n’écrit-il pas que dans ◀la▶ mythologie des Celtes, « ◀l’▶idée ◀de▶ ◀la▶ mort domine tout, et tout ◀la▶ découvre »?
On voit ◀le▶ danger ◀d’▶aller chercher dans un passé que ◀l’▶on connaît mal ◀les▶ causes ◀d’▶une révolution dont ◀les▶ effets ne sont que trop connus. ◀Le▶ seul avantage ◀de▶ ce procédé historique et littéraire, c’est qu’il dispense ◀de▶ mentionner des causes prochaines, beaucoup plus claires, solides et convaincantes. Ces causes sont, ◀de▶ toute évidence : ◀la▶ guerre, ◀le▶ traité ◀de▶ Versailles, ◀la▶ grande misère ◀de▶ ◀l’▶inflation et du chômage, ◀l’▶échec ◀de▶ ◀la▶ conférence du désarmement, enfin et surtout ◀les▶ exemples du communisme russe et du fascisme italien. Peut-être aussi ◀la▶ mollesse ◀de▶ ◀la▶ politique franco-anglaise jusqu’à Munich, qui ménageait Hitler à titre de « rempart » contre Staline…
Tout cela est plus gênant à alléguer que Luther et ◀les▶ vieux Germains, parce que dans tout cela se trouvent impliquées des nations que ◀l’▶on aime et ◀de▶ chères croyances… Mais quoi, ◀la▶ guerre présente nous rappelle au sérieux. Et ce n’est pas ma faute, ni celle des protestants, si ◀l’▶axe Berlin-Rome passe justement par Rome, qui n’est pourtant pas luthérienne.
Je m’excuse ◀de▶ tant ◀d’▶évidences, et ◀d’▶avoir à ◀les▶ rappeler à ◀l’▶attention ◀d’▶esprits si distingués.