Message aux Européens (14 mai 1948)l m
L’Europe est menacée, l’Europe est divisée, et la plus grave menace vient de ses divisions.
Appauvrie, encombrée de barrières qui empêchent ses biens de circuler, mais qui ne sauraient plus la protéger, notre▶ Europe désunie marche à sa fin. Aucun de ◀nos▶ pays ne peut prétendre, seul, à une défense sérieuse de son indépendance. Aucun de ◀nos▶ pays ne peut résoudre, seul, les problèmes que lui pose l’économie moderne. À défaut d’une union librement consentie, ◀notre▶ anarchie présente ◀nous▶ exposera demain à l’unification forcée, soit par l’intervention d’un empire du dehors, soit par l’usurpation d’un parti du dedans.
L’heure est venue d’entreprendre une action qui soit à la mesure du danger.
Tous ensemble, demain, ◀nous▶ pouvons édifier avec les peuples d’outre-mer associés à ◀nos▶ destinées, la plus grande formation politique et le plus vaste ensemble économique de ◀notre▶ temps. Jamais l’histoire du monde n’aura connu un si puissant rassemblement d’hommes libres. Jamais la guerre, la peur, et la misère n’auront été mises en échec par un plus formidable adversaire.
Entre ce grand péril et cette grande espérance la vocation de l’Europe se définit clairement.
Elle est d’unir ses peuples selon leur vrai génie, qui est celui de la diversité, et dans les conditions du xxe siècle, qui sont celles de la communauté, afin d’ouvrir au monde la voie qu’il cherche, la voie des libertés organisées. Elle est de ranimer ses pouvoirs d’invention pour la défense et pour l’illustration des droits et des devoirs de la personne humaine, dont, malgré toutes ses infidélités, l’Europe demeure aux yeux du monde le grand témoin.
La conquête suprême de l’Europe s’appelle la dignité de l’homme, et sa vraie force est dans la liberté. Tel est l’enjeu final de ◀notre▶ lutte. C’est pour sauver ◀nos▶ libertés acquises, mais aussi pour en élargir le bénéfice à tous les hommes, que ◀nous▶ voulons l’union de ◀notre▶ continent.
Sur cette union l’Europe joue son destin et celui de la paix du monde.
Soit donc notoire à tous que ◀nous▶, Européens, rassemblés pour donner une voix à tous les peuples de ce continent, déclarons solennellement ◀notre▶ commune volonté dans les cinq articles suivants, qui résument les résolutions adoptées par ◀notre▶ Congrès :
1° ◀Nous▶ voulons une Europe unie, rendue dans toute son étendue à la libre circulation des hommes, des idées et des biens.
2° ◀Nous▶ voulons une Charte des droits de l’homme, garantissant les libertés de pensée, de réunion et d’expression, ainsi que le libre exercice d’une opposition politique.
3° ◀Nous▶ voulons une Cour de justice capable d’appliquer les sanctions nécessaires pour que soit respectée la Charte.
4°) ◀Nous▶ voulons une Assemblée européenne, où soient représentées les forces vives de toutes ◀nos▶ nations.
5° Et ◀nous▶ prenons de bonne foi l’engagement d’appuyer de tous ◀nos▶ efforts, dans ◀nos▶ foyers et en public, dans ◀nos▶ partis, dans ◀nos▶ églises, dans ◀nos▶ milieux professionnels et syndicaux, les hommes et les gouvernements qui travaillent à cette œuvre de salut public, suprême chance de la paix et gage d’un grand avenir, pour cette génération et celles qui la suivront.