(1951) Demain l’Europe ! (1949-1951) « Demain l’Europe ! — Le Conseil de l’Europe (28 mars 1949) » pp. p. 1

Demain l’Europe ! — Le Conseil de l’Europe (28 mars 1949)

Pendant que la presse du monde entier discute le pacte de l’Atlantique, un événement peut-être décisif se prépare en silence, à Londres, aujourd’hui même. Il s’agit de fixer les statuts d’un Parlement européen. Les représentants de dix nations se sont réunis ce matin, et nous saurons peut-être en fin de semaine, les résultats de leurs travaux.

On peut juger bizarre qu’une telle négociation, qui engage l’avenir de notre Europe, se poursuive à huis clos, et sans la moindre publicité. Il semblerait que les gouvernements n’aient pas envie qu’on sache qu’ils font l’Europe… C’est qu’ils la font à leur corps défendant. On les y pousse, et ils n’osent pas dire non, mais ils espèrent garder aussi longtemps que possible le contrôle de l’opération.

L’initiative, en vérité, appartient aux fédéralistes. Et, pour vous faire comprendre la portée de la réunion qui se tient à Londres, cette semaine, je vais résumer brièvement les étapes de sa préparation.

Au mois de mai 1948, il y a donc un peu moins d’un an, nous avons convoqué un Congrès de l’Europe avec l’appui des organisations les plus diverses, économiques, parlementaires et religieuses, syndicales et fédéralistes. Ce congrès, présidé par Churchill, réunit 800 délégués. À l’unanimité, il résolut d’entreprendre une action immédiate en faveur de la convocation d’une Assemblée européenne.

Le 18 août, nos délégués remettaient aux cinq puissances signataires du pacte de Bruxelles un Mémorandum détaillé sur notre projet d’Assemblée.

Le même jour, ces propositions se voyaient acceptées sans réserve par le gouvernement français, bientôt suivi par les pays du Benelux.

Après beaucoup d’hésitations, le cabinet de M. Bevin se résignait à suivre ses alliés.

Un comité fut alors désigné par les gouvernements des 5 puissances pour examiner la question. Ses travaux commencèrent en novembre, et le 29 janvier de cette année, le comité des Cinq annonçait à la presse qu’il venait d’aboutir à un accord. Un Conseil de l’Europe allait être formé. Il comprendrait d’une part un Comité de ministres, et d’autre part un corps consultatif, désigné par les parlements.

Ce n’était qu’un premier pas vers l’action, vers l’Europe, — mais c’est le premier pas qui coûte. Peu de jours après, on annonçait que la ville de Strasbourg serait choisie comme siège du corps consultatif, et que l’Assemblée serait convoquée dès cet automne.

Rapidement, 5 nations nouvelles sont venues s’ajouter au noyau primitif. Ce sont les États scandinaves, l’Irlande, et l’Italie. Remarquez que la Suède, et l’Irlande ont refusé toutes les deux de signer le pacte de l’Atlantique, mais qu’elles acceptent de collaborer quand il s’agit d’union européenne. Elles ne considèrent pas que leur neutralité soit un obstacle à leur présence active. Cet exemple aura de quoi faire réfléchir la Suisse.

Voici donc réunis à Londres, aujourd’hui même, les représentants de 10 pays qui acceptent — non sans précautions, non sans arrière-pensées peut-être — de s’engager dans la voie que leur tracent les pionniers du fédéralisme.

On aura rarement vu négociation aussi lourde de conséquences se dérouler plus discrètement… Quels résultats faut-il en espérer ? La manière dont elle s’est engagée ne permet pas d’attendre des miracles.

Le comité de Londres réunit des experts et des délégués des États.

Or, les experts, en général, ont tendance à prouver qu’il est urgent d’attendre. Ils connaissent les difficultés, c’est leur métier, et ils entendent nous le faire sentir. Mais il arrive qu’ils manquent d’une vision claire et simple des grandes nécessités de l’heure : or celles-ci nous commandent de faire l’Europe, et de la faire à n’importe quel prix.

Mais gardons-nous aussi d’un excès de pessimisme. Car si l’on doit prévoir que le comité de Londres va limiter autant que possible le rôle du futur parlement européen, le fait est que nous aurons tout de même un parlement. Et l’on ne voit pas ce qui retiendra cette assemblée, dès qu’elle existera et fonctionnera, d’aller plus loin, beaucoup plus loin que les États n’osent le souhaiter, — d’aller enfin fraîchement, courageusement, vers la fédération totale de l’Europe.

Qu’on nous donne l’assemblée sous n’importe quelle forme, et l’opinion publique fera le reste ! C’est pourquoi le Mouvement européen se prépare à lancer dans tous nos pays libres une campagne de grande envergure, afin que les masses se joignent aux élites pour dire au Parlement européen : nous voulons une Europe unie, rendue dans toute son étendue à la libre circulation des hommes, des idées et des biens.

Et nous voulons cela, parce que l’Europe unie sera seule assez forte pour arrêter la guerre et défendre nos libertés !

Voici encore mes prévisions du temps valables jusqu’à lundi prochain : brouillard épais sur Londres et ce qui s’y passe, plus chaud en Suède, menaces de précipitations dans les Balkans — à Berne, encore doux et serein.