(1951) Demain l’Europe ! (1949-1951) « Demain l’Europe ! — Militer pour la fédération (24 octobre 1949) » pp. p. 1

Demain l’Europe ! — Militer pour la fédération (24 octobre 1949)

Chers auditeurs,

Plusieurs d’entre vous, très sincèrement, et même avec enthousiasme, m’avaient demandé depuis quelques semaines : que faut-il faire, et que pouvons-nous faire ? Je leur ai répondu, lundi dernier : commencez par le commencement, entrez dans nos sections locales de notre Union européenne en Suisse.

Cette causerie de lundi dernier m’a valu deux séries de questions ? Les unes portant sur l’utilité générale d’une telle démarche, les autres plus immédiatement pratiques. Je vais y répondre ce soir. Certains m’ont dit : c’est trop facile et c’est trop peu. En face des grands périls qui nous menacent à bout portant, ce petit acte individuel qui consiste à s’inscrire dans une association de plus, c’est vraiment bien peu de choses et, croyez-moi, cela n’empêchera ni la terre de tourner, ni la guerre d’arriver, ni la bombe de sauter.

À cette question, où à ce scepticisme, je me contenterai de répondre par un chiffre. Je ne pense pas que nous soyons en Europe plus de 150 000 militants de l’action pour unir nos peuples. Or, ces 150 000 militants ont réussi en moins d’un an un véritable tour de force historique. C’est à leur volonté et à leurs plans, c’est à leur pression vigilante, c’est à eux seuls qu’on doit la création du Conseil de l’Europe, et la convocation de l’Assemblée de Strasbourg, c’est-à-dire du premier parlement continental, après 2000 ans de divisions. Ce n’est pas si mal pour commencer et si 150 000 ont pu faire cela en un an, je vous le demande : que ne feront pas l’année prochaine 500 000 [ou] un million de militants ?

Ceci dit, venons-en à vos questions pratiques.

Beaucoup d’entre vous m’ont fait sur ce sujet une grave querelle. Ils m’ont dit ou écrit en substance : « C’est vraiment trop gentil de nous inviter, mais vous oubliez le principal, vous avez oublié l’adresse à laquelle il s’agit de se rendre. »

À vrai dire, mes chers auditeurs, cet oubli n’était pas totalement accidentel, tout d’abord, il m’est difficile d’utiliser les 6 minutes que le directeur de Radio-Genève, M. Dovaz, met à ma disposition — d’utiliser ces 6 précieuses minutes pour vous lire mon carnet d’adresses ! — car nous avons des groupes dans presque toutes les villes et grandes localités de la Suisse… Ensuite, je me suis dit qu’il n’était pas mauvais que ceux qui veulent entrer dans notre action le manifestent par un petit effort, celui de se renseigner par leurs propres moyens. Beaucoup l’ont fait. Certains n’ont rien trouvé. Sur leur invitation pressante, je m’exécute : voilà : pour entrer dans l’Union européenne, écrivez à son secrétaire général, M. Ernest Steffan. Attendez ! Prenez un crayon et un bout de papier, voulez-vous, je vais répéter lentement : M. Ernest Steffan, S-T-E-F-F-A-N, case postale 1833, Lausanne.

M. Steffan est accablé de travail. Mais il vous répondra, je m’en porte garant, je le connais bien. M. Steffan, Case postale 1833, Lausanne, vous donnera l’adresse du groupe fédéraliste européen de votre ville ou de votre région, et toutes informations souhaitables.

Si par hasard, dans votre ville, il n’existe pas de section de notre Union européenne, alors il est doublement urgent que vous écriviez au même M. Steffan, pour lui signaler cette lacune, et pour fonder le groupe avec son aide.

Et si enfin, le groupe existe, mais ne vous paraît pas satisfaisant, raison de plus pour y entrer, avec vos amis, et pour l’aider à devenir ce qu’il doit être : un foyer de civisme élargi, une cellule de l’Europe fédérale.

Je vous l’ai dit lundi dernier et je le répète : ce que vous offre l’Union européenne, c’est l’occasion de militer, dans vos milieux, pour une action réelle, qui a déjà démarré et qui a dépassé le stade des utopies, qui s’est forgé, à Strasbourg, un instrument déjà puissant.

Notez-le bien : cet instrument forgé par le Mouvement européen, pour une fois n’est pas un parti. Et c’est encore bien moins un de ces rassemblements de désespérés et de déracinés sociaux, disciplinés à la schlague ou au knout, dressés pour suivre aveuglément un chef brutal. Nous ne voulons pas former des troupes de choc ! Nous en avons assez des appels à la haine, naissant du désespoir, et l’aggravant avec furie. Si je vous parle ce soir de militer, c’est dans un sens vraiment nouveau pour notre siècle. Nous ne voulons plus de soldats politiques, mais des citoyens alertés, prêts à parler, et prêts à exiger les moyens concrets de la paix, — c’est-à-dire la fédération, à bref délai, de tous les peuples restés libres en Europe, 300 millions d’hommes et de femmes qui ont subi les deux guerres et refusent la troisième.

Un instrument qui n’est pas un parti, ai-je dit. Et voilà qui est vraiment « du nouveau sous le soleil » ! Car savez-vous qu’en Suisse tous les partis sont représentés dans le conseil du Mouvement européen ? Savez-vous qu’au bureau de ce conseil siègent désormais les 4 présidents des partis socialiste, agrarien, radical, et conservateur ? Si nous avons tous les partis, c’est bien la preuve que nous n’en sommes pas un ! Et qu’il y a quelque chose de neuf, dans notre Suisse comme partout en Europe.

Tout cela signifie, pratiquement, que vous n’aurez jamais une plus belle occasion d’entrer dans un mouvement en plein essor, et d’agir selon vos moyens, à l’échelle quotidienne et dans votre milieu, pour former l’opinion publique.

Car il est peu de pays où l’opinion publique ait autant de pouvoir qu’en Suisse. Le Conseil fédéral, ni les Chambres, ne feront rien sans s’être assurés tout d’abord que notre opinion les soutient, et qu’elle est même prête à les pousser. Mais dans quel sens ? Voilà toute la question.

Quel doit, être, dans cette affaire — qui sera la grande affaire du xx e siècle — le rôle des Suisses ? C’est à quoi j’essaierai de répondre au cours de mes prochaines causeries.

Au revoir, mes chers auditeurs !