Demain l’▶Europe ! — Bilan 1949 (26 décembre 1949)
Chers auditeurs,
Voici ◀la▶ semaine où, traditionnellement, chacun se [illisible] à faire ◀le▶ bilan ◀de▶ ◀l’▶an qui passe. Commençons donc ce soir par ◀le▶ bilan ◀de▶ ◀l’▶Europe, puisqu’elle est ◀le▶ cadre ◀de▶ nos existences, et que ◀le▶ sort ◀de▶ chacun ◀de▶ nous dépend du sien.
◀De▶ semaine en semaine, j’ai commenté pour vous ◀les▶ progrès du grand œuvre commun ◀d’▶union des peuples et des élites, et quand on suit une action pas à pas, surtout si son théâtre est vaste, on a souvent ◀l’▶impression fausse que rien n’avance, qu’on se perd dans ◀les▶ détails ou dans ◀la▶ confusion. Mais prenons ◀les▶ choses de plus haut, essayons ◀d’▶embrasser ◀d’▶un coup d’œil ◀le▶ chemin parcouru depuis un an. Que voyons-nous ?
Au début ◀de▶ janvier, rien n’était fait.
Bien plus, il semblait que ◀les▶ efforts du Mouvement européen aboutissaient à un échec total. Une commission ◀d’▶experts ◀de▶ dix-huit membres, nommés par ◀les▶ gouvernements à ◀la▶ demande ◀de▶ notre Mouvement venait ◀d’▶enterrer proprement ◀le▶ projet ◀d’▶un Conseil de l’Europe. ◀Les▶ Anglais refusaient tout, et nous savions pourtant qu’on ne peut pas faire ◀l’▶Europe sans eux. Et puis soudain, ◀le▶ 28 janvier, Bevin céda. Un modeste communiqué annonça qu’un accord ◀de▶ principe était acquis. ◀Le▶ 5 mai, ◀les▶ ambassadeurs ◀de▶ 10 nations signaient à Londres, ◀le▶ Statut du Conseil de l’Europe. ◀Le▶ 10 août s’ouvrait à Strasbourg la première session ◀de▶ ◀l’▶Assemblée consultative européenne. Elle se terminait par ◀le▶ vote ◀d’▶une série ◀de▶ recommandations qui furent transmises aux 13 États formant ◀le▶ Conseil. Et puis, au mois ◀de▶ novembre, un brusque coup ◀d’▶arrêt interrompait ce beau progrès : ◀les▶ ministres réunis à Paris, opposaient un veto plus ou moins déguisé aux desiderata ◀de▶ ◀l’▶Assemblée. Mais celle-ci décidait ◀de▶ passer outre, et ◀de▶ poursuivre des travaux.
◀D’▶un certain point de vue donc, on pourrait croire qu’après un an, nous voici ramenés à zéro, par ◀la▶ faute des gouvernements. Pourtant, il n’en est rien. ◀Le▶ Conseil de l’Europe existe désormais, et cela signifie pratiquement que ◀l’▶opinion publique européenne dispose ◀d’▶un moyen ◀de▶ pression, ◀d’▶une institution régulière, devant laquelle ◀l’▶obstination même ◀d’▶un Bevin devra céder un jour ou l’autre, comme elle a cédé plus ◀d’▶une fois. Toute ◀la▶ question est ◀de▶ savoir si ◀l’▶on pourra ◀le▶ faire céder à temps.
Car ◀le▶ temps presse. Trois événements récents ◀l’▶ont démontré. ◀La▶ dévaluation britannique nous a prouvé que toutes nos économies sont solidaires, même désunies, mais qu’alors elles ◀le▶ sont dans ◀le▶ chaos. ◀L’▶annonce que ◀la▶ Russie possède ◀la▶ bombe atomique a démontré que nous sommes tous solidaires, mais dans une pauvreté sans précédent.
◀La▶ situation est donc plus simple que jamais. Désunis, nous constatons que nous sommes pourtant liés ◀les▶ uns aux autres, mais seulement dans ◀la▶ ruine, ◀la▶ misère et ◀la▶ peur. Unis, demain, nous pourrions être solidaires dans ◀la▶ sécurité et ◀la▶ prospérité.
C’est ce que n’a pas cessé ◀de▶ répéter, depuis un an, notre Mouvement européen. Il ◀l’▶a répété et prouvé à son congrès politique ◀de▶ Bruxelles, en février ; à son congrès économique ◀de▶ Westminster, en avril ; enfin, à son congrès culturel ◀de▶ Lausanne, en décembre. Sans lui, sans son action persévérante sur ◀l’▶opinion, sur ◀les▶ parlementaires, sur ◀les▶ gouvernements eux-mêmes, bien peu de choses auraient été faites, presque rien. Sans lui, nous n’aurions pas même obtenu cette Assemblée consultative, dont nous sommes les premiers à savoir ◀les▶ lacunes, mais qui existe et qui est plus qu’un espoir : un gage, une première prise sur ◀la▶ réalité.
Voilà donc ◀le▶ bilan ◀de▶ notre année ◀de▶ luttes : à ◀l’▶actif, ◀le▶ Conseil de l’Europe, au passif, ◀la▶ résistance des États, — cependant que ◀le▶ conflit se précise entre ◀les▶ forces qui veulent ◀l’▶union d’une part, et d’autre part ◀les▶ experts qui disent non, ◀les▶ ministres qui disent no ! et ◀les▶ nationalistes obtus qui, sans ◀le▶ savoir souvent, disent comme ◀le▶ veulent ◀les▶ Russes : niet, niet.
Un Parlement, et trois congrès, je sais très bien ce que beaucoup vont penser : ◀le▶ bilan ◀de▶ 1949, c’est ◀le▶ bilan ◀d’▶une série ◀de▶ parlottes. Là-dessus, j’ai trois remarques à vous soumettre.
La première, c’est que ceux qui n’aiment pas qu’on parle feraient bien ◀de▶ se taire, logiquement, au lieu de nous expliquer à longueur ◀de▶ journée qu’il faut agir, et ce sont eux qui ne font rien.
La seconde remarque, c’est que ◀l’▶on ne peut pas agir en commun sans parler d’abord. Que ce soit dans un état-major, dans un gouvernement, dans un conseil d’administration ou dans un syndicat, on ne peut pas dresser un plan ◀d’▶action sans ◀le▶ discuter en équipe — et c’est bien ce que nous avons fait dans nos congrès.
Et ma troisième remarque, c’est une citation ◀de▶ ◀l’▶Évangile : Au commencement était ◀le▶ Verbe. C’est une Parole qui a créé notre monde, qui a séparé ◀la▶ lumière des ténèbres, qui nous a tirés du chaos. Un verbe, et non pas autre chose.
Après tout, qu’est-ce qu’on nomme une parlotte ? C’est un échange ◀de▶ phrases ou ◀de▶ discours qui n’est suivi ◀d’▶aucun effet. Or nos congrès ont abouti à des créations importantes : ◀le▶ Conseil de l’Europe par exemple, ou ◀le▶ Centre européen de la culture, tout récemment. Tandis que ceux qui nous critiquent ne font rien ◀d’▶autre que parler : vous voyez que ◀la▶ parlotte n’est pas toujours où ◀l’▶on pense.
Et je voudrais terminer sur un mot personnel : mes causeries à leur tour ne seront que parlottes, si elles ne sont pas suivies ◀d’▶effets pratiques. Mais il dépend ◀de▶ vous aussi, ◀de▶ vous surtout, qu’elles se transforment en action.
C’est sur ce vœu, sur cet appel que je vous quitte, chers auditeurs, jusqu’à ◀l’année prochaine — qui sera lundi prochain.