Le▶ drame ◀de▶ ◀la▶ liberté, aujourd’hui
Si ◀l’▶on passe en revue tous ◀les▶ arguments avancés depuis des siècles pour ou contre ◀la▶ liberté humaine en soi, on en vient vite à ne plus savoir si elle existe ou non, si elle est légitime ou non comme idéal ou comme réalité. Mais un homme en prison, qu’il soit intellectuel ou paysan, sait très bien ce qu’il a perdu. Il n’en demande pas ◀la▶ définition. Il en exige ◀la▶ jouissance immédiate, à n’importe quel prix.
En ce milieu du xxe siècle, c’est moins ◀le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ liberté qui nous importe, que son drame. ◀De▶ ◀l’▶issue ◀de▶ ce drame dépendent nos vies.
Car si nous vivons aujourd’hui dans ◀l’▶angoisse ◀d’▶une nouvelle guerre mondiale, c’est parce que ◀le▶ monde est divisé en deux partis, qui ne se définissent clairement que par rapport à ◀la▶ liberté. ◀D’▶un côté, ◀les▶ peuples qui se disent libres et qui entendent ◀le▶ rester ; ◀de▶ l’autre, ceux qui vivent en régime totalitaire, et qui n’ont pas nos libertés, qu’ils jugent trompeuses.
Tous ◀les▶ autres motifs ◀de▶ conflit que ◀l’▶on pourrait énumérer sont discutables et peu clairs. ◀Les▶ intérêts économiques, par exemple, restent conjecturaux, souvent mal définis : on pourrait s’arranger sur ce plan-là, peut-être. ◀Les▶ passions nationalistes ne sont plus que des survivances, d’ailleurs également réparties entre ◀les▶ deux camps. ◀Les▶ conceptions ◀de▶ ◀la▶ justice sociale elle-même ne suffisent pas pour distinguer nettement ◀les▶ adversaires : il serait possible ◀de▶ discuter longtemps pour savoir ◀de▶ quel côté du rideau ◀de▶ fer il y a ◀le▶ plus ◀de▶ justice sociale, théorique ou pratique, promise ou réalisée. Par contre, ce qu’il est absolument impossible ◀de▶ discuter, ce qui est évident aux yeux de tous, des deux côtés, c’est que nous voulons ◀la▶ liberté, et que ◀les▶ autres veulent ◀la▶ dictature. Ils ◀la▶ préfèrent — provisoirement disent-ils — à notre liberté qu’ils nomment purement « formelle », affirmant que leur dictature prépare une liberté « réelle ».
Mais alors, s’il est clair que ◀l’▶enjeu est en définitive ◀la▶ liberté, n’est-il pas urgent que nous prenions une conscience nette et forte des libertés concrètes que nous avons ? Si nous voulons gagner ◀d’▶avance — avant une guerre, qui serait perdue par tous — cette lutte où nous sommes engagés, la première condition ◀de▶ succès, c’est ◀de▶ savoir ce que nous défendons. Quelles sont nos libertés ? Sont-elles purement formelles ? ◀Les▶ voulons-nous vraiment ? Et sommes-nous prêts aux derniers sacrifices pour ◀les▶ défendre ?
Beaucoup d’entre nous, soyons francs, ne savent plus bien répondre à ces questions. C’est là que gît ◀la▶ force principale ◀de▶ l’autre camp.
Quand on nous dit : « Qu’avez-vous à opposer à ◀l’▶idéologie stalinienne, à cette grande espérance des prolétaires, à cette religion nouvelle ? », nous hésitons souvent avant de répondre. Quand on nous dit : « Vous ne pourriez défendre ◀l’▶Europe qu’en opposant à ses ennemis une idéologie plus puissante que ◀la▶ leur, mais hélas, vous n’avez qu’un passé ! », quand on nous dit cela, et que nous cherchons alors désespérément une réplique, ou que nous essayons ◀d’▶improviser quelque « mystique » nouvelle, nous sommes déjà battus.
Pour gagner, mais alors à coup sûr, il faut que nous soyons en état ◀de▶ répondre instantanément, avec une conviction totale. Il faut que nous répondions ceci : « Nous n’avons pas besoin comme vous ◀d’▶une mystique qui masque ◀les▶ faits, nous n’avons pas besoin ◀d’▶une idéologie, car nous avons nos libertés. Et ce n’est pas notre passé que nous défendons, mais bien ◀les▶ libertés qu’il a conquises, et qui sont ◀la▶ réalité présente ◀de▶ nos vies, bien plus : qui sont ◀le▶ gage ◀d’▶un avenir meilleur ! »
Ce langage seul peut nous sauver. Encore faut-il que nous soyons en mesure ◀de▶ ◀le▶ tenir sans équivoque, et en pleine connaissance de cause. Or beaucoup d’entre nous hésitent. C’est pour ceux-là, avec ceux-là, que je voudrais examiner deux grandes questions :
Premièrement : pourquoi ◀les▶ hommes ◀d’▶aujourd’hui ont-ils peur ◀de▶ ◀la▶ liberté et sont-ils tentés ◀d’▶y renoncer ?
Secondement : quelles sont ◀les libertés réelles que nous avons, et que demain nous pourrions perdre ?