IV
Problèmes de la personne aux prises avec les mythes▶
Que les ◀mythes▶ de l’amour déterminent largement nos conduites individuelles, les hasards apparents de nos rencontres, et les choix que nous croyons décider librement — on admet qu’il serait superflu de le démontrer une fois de plus. Que cette action soit propagée par la culture, par les œuvres lyriques ou romanesques qui nous « passionnent » (nous prédisposent à la passion), dans la mesure précise où elles obéissent aux ◀mythes▶, cependant que leurs auteurs croyaient s’abandonner à la pleine liberté de leur imagination, —j’en donnerai plus loin quelques preuves.
Or les ◀mythes▶, comme les lois, relèvent du générique, tandis que la personne est unique ou n’est pas. Ils nous conduisent au type, tandis que la personne est le chemin vers un moi-même sans précédent, seul capable d’un amour neuf. La personne trouve la preuve de sa vraie liberté dans ses décisions singulières, déterminées non point par des lois génériques, préexistantes, commune à tous — et dont certes il est sage de tenir compte — mais par un but qui n’est qu’à elle, en avant d’elle, un but qu’elle réalise en l’approchant, tout en se réalisant elle-même par cette approche.
Pour la personne aux prises avec les ◀mythes▶, le problème consistera donc à reconnaître tout d’abord leur nature et leurs modes d’action, puis à savoir en jouer à ses fins propres, sous peine de rester leur jouet, « le pantin dont une force inconnue tire les ficelles », dit Kierkegaard. En d’autres termes, la personne doit tout d’abord apprendre à lire le jeu des ◀mythes — dans sa vie, dans ses rêves et dans les œuvres qui ne cessent de l’influencer — puis tenter d’entraîner dans son jeu propre les formes d’énergie dont ils sont conducteurs.
Cette conversion de l’énergie d’Éros se révélera peut-être un jour plus importante, pour l’avenir de l’humanité, que l’actuelle domestication de l’énergie nucléaire et solaire. Car si l’une doit permettre d’explorer l’espace cosmique et de subvenir à l’alimentation des corps, l’autre peut permettre à l’esprit d’explorer les richesses mal connues de l’espace et du temps animiques, et d’y trouver de quoi nourrir des faims d’une autre espèce, dès maintenant éveillées.