L’▶intellectuel suisse et ◀la▶ politique (juillet 1967)e
Beaucoup s’imaginent aujourd’hui que ◀la▶ fonction ◀de▶ ◀l’▶intellectuel dans ◀la▶ vie publique ne saurait être que ◀de▶ dénonciation. Fustiger ◀l’▶hypocrisie bourgeoise à ◀l’▶échelle communale, condamner solennellement ◀l’▶impérialisme à ◀l’▶échelle planétaire, régler son compte verbal à tout ce qui grouille entre ces deux extrémités, disons entre Güllen et Washington ou Moscou, ce serait, paraît-il, « s’engager ».
Ayant été le premier à parler ◀de▶ ◀l’▶engagement ◀de▶ ◀l’▶écrivain (cela remonte à 1933), je voudrais préciser que je ne ◀l’▶ai jamais conçu comme un simple verdict rendu et publié par ◀la▶ vertu (◀de▶ gauche ou ◀de▶ droite) contre ◀le▶ vice (◀de▶ droite ou ◀de▶ gauche), à propos de ◀la▶ Corée, ◀de▶ Cuba, du Yémen, ou du Vietnam, ou ◀d’▶Israël, qui sont très loin, ni même à propos du Jura, tout près de nous.
◀Le▶ rôle ◀de▶ ◀l’▶intellectuel en politique, comme dans tous ◀les▶ domaines où sa passion ◀le▶ porte, ne saurait se réduire à des jugements moraux, mais plutôt il consiste à inventer, créer des formes, ouvrir des voies, montrer des buts !
Prenez ◀l’▶exemple ◀de▶ ◀l’▶intellectuel suisse. Ce n’est pas sa vertu qui peut intéresser, même si elle ◀le▶ porte à soutenir régulièrement ◀les▶ causes mal vues par ◀la▶ Suisse officielle, bien vues par ◀l’▶intelligentsia partout ailleurs. À vrai dire, je ne sais pas du tout ce qu’on attend ◀de▶ nous à ◀l’▶étranger. Sans doute, rien. Mais je vois bien ce que nous pourrions donner.
◀Le▶ Suisse qui réfléchit, imagine et publie, s’il éprouve ◀le▶ besoin ◀de▶ s’engager, doit se mettre en flèche et non pas en retrait, dès lors qu’il est question ◀d’▶unir ◀l’▶Europe, ◀de▶ Gibraltar à Varsovie et ◀d’▶Édimbourg à Bucarest. Il doit demander que ◀l’▶Europe s’unisse selon ◀la▶ formule fédérale, sur ◀la▶ base des régions non des nations, des réalités non des mythes. Et pourquoi cela ? Parce que primo, seul ◀le▶ fédéralisme permet ◀d’▶unir ◀les▶ merveilleuses diversités européennes — ethniques, culturelles, historiques — dans ◀la▶ liberté et pour elle ; secundo, parce que ◀les▶ Suisses connaissent mieux que personne en Europe ◀les▶ difficultés et ◀les▶ risques autant que ◀les▶ avantages ◀d’▶un système qu’ils pratiquent depuis un siècle ; tertio, parce que ◀le▶ fédéralisme quarante-huitard sur lequel nous vivons encore ne suffit plus, grince et se grippe comme une carrosserie surmenée, et que seule toute ◀l’▶Europe peut à la fois nous obliger et nous permettre ◀de▶ rénover à son échelle ◀la▶ formule fédérale, ◀l’▶œuvre d’art immortelle, traditionnelle et futuriste du peuple suisse.
Pour ma part, je demande, j’espère et je prépare depuis vingt ans un premier août européen !