III
Post-scriptum 1939
ou Conclusions à n’en plus finir64
Munich
Mon Journal publié au lendemain de▶ Munich, cet événement modifiait-il ou non mon diagnostic ◀de▶ ◀l’▶hitlérisme ? Je répondis par une note qui parut dans ◀le▶ numéro ◀de▶ novembre 1938 ◀de▶ ◀la▶ Nouvelle revue française. Désireux ◀de▶ me dégager ◀de▶ ◀l’▶atmosphère trop émotive ◀de▶ ces journées, peu favorable à un jugement dont on n’eût pas à rougir tôt après, je crus y parvenir par ◀l’▶artifice ◀d’▶une espèce ◀d’▶objectivité anticipée : ◀d’▶où cette « Page ◀d’▶histoire » que je donnais comme extraite ◀d’▶un manuel futur :
Leçon sur ◀la▶ crise des minorités en 1938.
« 1. Caractérisez ◀l’▶état politique ◀de▶ ◀l’▶Europe en 1938. — ◀Les▶ démocraties ◀de▶ ◀l’▶Ouest avaient fondé leur paix sur deux principes : ◀le▶ droit des peuples à disposer ◀d’▶eux-mêmes, ◀l’▶arbitrage international. Au nom du premier principe fut créé ◀l’▶État tchèque, au nom du second, ◀la▶ SDN. Mais ◀le▶ jacobinisme des démocraties (centralisation rigide, confusion ◀de▶ ◀l’▶État et ◀de▶ ◀la▶ Nation) s’opposait dans ◀le▶ fait à toute application honnête des deux principes. D’une part, ◀la▶ SDN ne fut pas une fédération, aucun des États constituants n’ayant renoncé à aucune ◀de▶ ses prérogatives au bénéfice ◀de▶ ◀la▶ Société ; d’autre part, ◀l’▶État tchèque opprima ses propres minorités, leur imposant un régime centraliste inspiré du modèle français.
2. Sur quoi se basaient ◀les▶ revendications hitlériennes ? — ◀Les▶ dictateurs du centre ◀de▶ ◀l’▶Europe furent les premiers à s’apercevoir ◀de▶ ce paradoxe politique. Ils eurent ◀l’▶habileté ◀de▶ fonder leurs revendications à la fois sur l’un des principes que ◀les▶ démocraties prétendaient défendre et sur ◀le▶ système qu’elles pratiquaient en fait. C’est ainsi que ◀l’▶Allemagne exigea ◀l’▶autonomie des Sudètes au nom du droit ◀de▶ libre disposition des peuples, puis leur annexion au nom de « ◀l’▶unité nationale ».
3. Quelle fut ◀la▶ réponse des démocraties ? — Il était fatal, dans ces conditions, que ◀les▶ démocraties se laissassent convaincre par ◀le▶ « bon droit » des exigences allemandes. Et c’est pourquoi, lorsqu’en septembre 1938, ◀l’▶Allemagne appuya sa revendication ◀de▶ menaces militaires, ◀les▶ démocraties cédèrent (entrevue ◀de▶ Berchtesgaden).
4. Pourquoi ◀le▶ conflit s’aggrava-t-il subitement ? — ◀Le▶ litige était réglé en principe. Mais alors (entrevue ◀de▶ Godesberg) Hitler démasqua ◀l’▶aspect original (et non plus jacobin) ◀de▶ ◀la▶ dictature totalitaire : ◀l’▶impérialisme religieux ou sacral. Il exigea ◀d’▶entrer en armes et sur-le-champ dans ◀les▶ territoires sudètes. Une cession purement diplomatique n’eût pas compté à ses yeux. ◀La▶ religion dont il était ◀le▶ fondateur voulait ◀le▶ sacrifice sanglant (ou son symbole), ◀le▶ viol ◀de▶ ◀la▶ victime, ◀la▶ « libération » violente ◀de▶ ◀la▶ proie désirée (guerre limitée).
5. Quelle fut ◀la▶ réaction ◀de▶ ◀l’▶Europe ? — ◀L’▶opinion démocratique apparut désorientée par cette exigence purement rituelle. ◀Les▶ uns remarquaient qu’il n’y avait guère ◀de▶ différence entre Berchtesgaden et Godesberg. ◀Les▶ autres pensaient que ◀l’▶exigence ◀d’▶entrer en armes était une « querelle ◀d’▶Allemands », une rodomontade gratuite, puisqu’en principe tout était résolu. Seul, le Premier ministre anglais sut voir et dire qu’il y avait là un fait nouveau, ◀le▶ signe ◀d’▶une volonté ◀d’▶hégémonie. C’était traduire en termes classiques ◀la▶ réalité pressentie ◀de▶ ◀la▶ nouvelle religion totalitaire. D’ailleurs, ◀les▶ réactions des masses ne tardèrent pas à démontrer que Chamberlain avait su exprimer l’une des tendances fondamentales et instinctives ◀de▶ ◀l’▶Occident : ◀la▶ résistance à toute hégémonie, au nom d’un idéal latent ◀de▶ fédération des peuples sur pied ◀d’▶égalité. Une vague ◀de▶ fond s’éleva contre ◀la▶ prétention allemande, que ◀l’▶on sentait, obscurément, ruineuse pour ◀l’▶avenir confédéral ◀de▶ ◀l’▶Europe. Hitler comprit que son heure n’était pas encore venue. Il se vit contraint ◀d’▶accepter ◀la▶ réunion à Munich ◀d’▶une « Diète » des gouvernements égaux, qui régla ◀le▶ problème à ◀l’▶avantage matériel ◀de▶ ◀l’▶Allemagne, mais sur une base ◀d’▶arbitrage international — préfigurant ainsi un statut fédéral exclusif ◀de▶ toute hégémonie.
6. À qui profitèrent ◀les▶ accords ◀de▶ Munich ? — Cette victoire symbolique du principe fédératif ne fut pas exploitée par ◀les▶ nations qui ◀l’▶avaient remportée comme malgré elles et en dépit de leurs intérêts nationalistes. En proie à des luttes intestines sans grandeur, ◀les▶ démocraties ◀de▶ ◀l’▶Ouest ne surent tirer ◀d’▶un événement aussi considérable que des conclusions chagrines, au terme ◀de▶ calculs qu’on appelait alors « réalistes », et qui se bornaient à faire état des pertes matérielles subies. ◀Le▶ bénéfice moral, incalculable, fut perdu.
7. Conclusion. — ◀La▶ voie était dès lors ouverte aux ambitions totalitaires, ◀les▶ dictateurs ne trouvant plus devant eux que des États demeurés centralisés et maladroitement autarciques, auxquels ils empruntaient leurs vieux systèmes mais pour ◀les▶ appliquer avec rigueur. Personne ne sut opposer au Führer ◀l’▶idéal qui avait fait jusqu’alors ◀la▶ force et ◀l’▶équilibre dynamique ◀de▶ ◀l’▶Occident : ◀l’▶utopie agissante ◀d’▶une fédération des égaux, dont ◀la▶ seule Suisse figurait ◀le▶ microcosme.
C’est dans cette perspective historique que ◀les▶ événements ultérieurs, pour surprenants et monstrueux qu’ils soient apparus en leur temps, trouvent leur explication ◀la▶ moins douteuse. »
Réactions antifascistes : « Faire ◀le▶ jeu ◀d’▶Hitler »
Qu’une prise ◀de▶ parti efficace suppose nécessairement et avant tout ◀la▶ connaissance objective des faits en discussion, voilà qui, semble-t-il, ne souffre pas ◀le▶ doute un seul instant. Mais que cette vérité très évidente soit contestée avec passion, voilà qui mérite ◀l’▶examen.
Comment se peut-il, en général, qu’un homme refuse ◀de▶ voir ce qui est ? Et en particulier : comment se peut-il que, délibérément, un publiciste qui entend juger ◀l’▶Allemagne, commence par récuser ◀les▶ témoins objectifs en ◀les▶ accusant ◀de▶ complicité ?
◀La▶ réponse est fournie par ◀la▶ psychologie courante ◀de▶ ◀l’▶enfance. J’interdis à mon fils, âgé ◀de▶ 3 ans, ◀de▶ s’approcher du feu. Il s’en approche, naturellement. « Tu sais que je te ◀l’▶ai défendu, tu vas te brûler. — Non, ça ne brûle pas. — Mon petit, tu vas te brûler ! — Vilain papa, tu es très méchant ! »
C’est mon dialogue avec certains « antifascistes » dès que j’essaie ◀de▶ ◀les▶ avertir ◀de▶ ce qui se passe en Allemagne. Je leur expose des faits « bons » ou « mauvais ». Je dis il faut connaître ces faits si ◀l’▶on veut agir sur eux sans se laisser contaminer. Ils me répondent : vous faites ◀le▶ jeu ◀d’▶Hitler !
Or si mon fils prétend que ◀le▶ feu ne brûle pas, c’est parce qu’il n’ose ni ne peut dire : j’ai envie ◀de▶ toucher ◀le▶ feu bien que je sache qu’il brûle. Cette contradiction insurmontable se résout pratiquement par un mensonge (◀le▶ feu ne brûle pas), et par un transfert ◀de▶ ◀la▶ « méchanceté » du feu sur celui qui en avertit.
Dans un monde comme le nôtre, où si peu ◀d’▶hommes connaissent leur vraie croyance et leurs vrais désirs, il est fatal que se développe au plus haut point ◀le▶ réflexe ◀d’▶agression préventive qui fait dire : « Si vous prétendez rester objectif en présence de telle ou telle réalité, c’est que vous avez une tendance à ◀la▶ favoriser. »
Toutes les fois que se manifeste cette espèce ◀de▶ chantage à ◀la▶ tendance, je suis certain que son auteur est ◀la▶ proie ◀d’▶une passion inavouable — même à ses propres yeux pour ◀la▶ réalité, précisément, qu’il voudrait m’interdire ◀d’▶examiner.
◀Les▶ antifascistes aveugles sont des totalitaires qui s’ignorent.
Quelle est, en effet, ◀la▶ caractéristique ◀de▶ toute mentalité totalitaire ? ◀Le▶ refus ◀de▶ discuter, ◀d’▶où vient ◀le▶ terrorisme. ◀La▶ Terreur (jacobine, bolcheviste ou fasciste) a toujours dénoncé à ◀la▶ vindicte publique ◀les▶ « individus », c’est-à-dire ceux qui discutent ; ceux qui, sans être même des opposants, ne manifestent pas une volonté ◀de▶ soumission aux mots d’ordre du Parti. Plus encore ceux qu’on soupçonne, bien qu’adhérents enthousiastes, ◀de▶ demeurer capables ◀d’▶un jugement personnel. Puis : ceux qui n’ont pas donné assez ◀de▶ preuves du contraire. Et finalement, tous ceux qui se « distinguent » par quelque trait marqué, ◀de▶ n’importe quelle nature, fût-ce même par leur orthodoxie trop rigoureuse. Dans tous ◀les▶ cas et à tous ◀les▶ stades, c’est ◀la▶ tendance que ◀l’▶on punit, non pas ◀les▶ actes ou ◀les▶ opinions déclarées. On ne réfute pas : on jette ◀la▶ suspicion.
Or, c’est ce trait fondamental ◀de▶ ◀la▶ mentalité totalitaire que je retrouve dans ◀les▶ écrits et ◀les▶ propos ◀de▶ certains ◀de▶ nos antifascistes.
Introduisez ◀la▶ discussion, vous rendrez impossible ◀le▶ régime totalitaire. Je revendique pour ma part ◀le▶ droit ◀de▶ discuter, et j’en fais même un devoir civique. Si vous me ◀le▶ contestez, je vous jugerai là-dessus. Je dirai que vous êtes profasciste, non pas ◀d’▶intention mais ◀de▶ fait.
Refuser ◀de▶ discuter Hitler, c’est ◀le▶ « tabouer », c’est ◀le▶ considérer comme ◀l’▶adversaire sacré. ◀Le▶ sacré, c’est ce qu’on ne discute pas. Mais ◀le▶ sacré est toujours ambigu, ◀l’▶horreur toujours liée à ◀l’▶attirance. En discutant Hitler, je ◀le▶ profane. C’est beaucoup plus dangereux pour son mythe que ◀les▶ vociférations sacrées des antifascistes. Si vous me retirez cette arme, vous me transformerez en un fasciste honteux, qui sera certainement battu par ◀le▶ fasciste glorieux.
Dans un grand quotidien socialiste ◀de▶ Bruxelles, je me vois accusé en toutes lettres ◀d’▶avoir « fourni des gages aux hitlériens, avant, pendant ou après » mon séjour en Allemagne. ◀L’▶auteur conclut en engageant ◀les▶ antifascistes « à se méfier (◀de▶ moi) ». Mais à peu près à ◀la▶ même date, ◀La▶ Dépêche ◀de▶ Toulouse écrit : « Il faut ◀les▶ lire ◀d’▶un bout à l’autre, ces notes au jour ◀le▶ jour qui révèlent à la fois un observateur pénétrant et un enquêteur remarquablement documenté que n’aveuglent point ◀les▶ partis pris. » Le premier article assure que « ◀les▶ vieux lutteurs ◀de▶ ◀la▶ lutte du prolétariat allemand contre ◀le▶ fascisme ne sont pas en train, à ◀l’▶heure actuelle, ◀de▶ pérorer dans leur cuisine en compagnie de professeurs étrangers bienveillants et objectifs. Ou bien ils se terrent dans ◀le▶ silence farouche où mûrissent ◀les▶ révoltes, ou bien ils sont comme tous ceux qui ont tenté ◀de▶ défendre ◀la▶ liberté, emprisonnés, torturés — ou supprimés ». Mais le second article, sur ◀le▶ même sujet : « On aurait tort ◀de▶ penser que ◀la▶ section ◀la▶ plus nombreuse ◀de▶ ◀l’▶Internationale socialiste s’est volatilisée, ou du moins que seuls lui survivent ◀les▶ exilés, ◀les▶ bannis, ◀les▶ bagnards, ◀les▶ internés dans ◀les▶ camps ◀de▶ concentration… Ce serait ◀la▶ plus vaine et ◀la▶ plus dangereuse des illusions ◀de▶ penser que, dans ◀les▶ masses ouvrières allemandes, ◀le▶ totalitarisme n’a ◀d’▶autre soutien que ◀la▶ force ou ◀la▶ menace ◀de▶ ◀la▶ force. Parmi ◀les▶ socialistes majoritaires, sans parler d’autres dont ◀le▶ nationalisme nous épouvantait lorsque nous fûmes, en 1924, à Hambourg, au premier congrès ◀de▶ ◀l’▶Internationale reconstituée, combien n’en est-il pas qui, sans transition, ◀de▶ socialistes nationaux se sont mués, sans qu’il leur en coûte beaucoup, en nationaux-socialistes ? Pour eux, du reste, ◀le▶ drapeau rouge avec ◀le▶ cancre noir reste un drapeau rouge ; ◀le▶ mot « socialiste », dans national-socialiste, n’est pas un simple attrape-nigaud, et ce n’est pas sans conviction qu’ils chantent, ◀le▶ 1er mai, selon ◀la▶ formule officielle : Communauté, égalité et pain pour ◀le▶ peuple. Nul, peut-être, n’a mieux rendu compte ◀de▶ cet état d’esprit complexe que Denis de Rougemont, dans son Journal ◀d’▶Allemagne … »
Il s’agit ◀d’▶une scène ◀de▶ ménage. Car le premier article est signé par Jeanne-E. Vandervelde, qui passe pour communiste, le second par son mari Émile Vandervelde, ◀le▶ célèbre leader ◀de▶ ◀la▶ IIe Internationale.
Réactions hitlériennes
Lorsqu’il s’agit ◀de▶ savoir ce que pense un peuple « mis au pas », faut-il préférer ◀les▶ témoignages privés aux prises ◀de▶ position publiques ? J’ai reçu plusieurs lettres ◀d’▶Allemands qui m’avaient lu, et qui ne se cachaient pas ◀d’▶approuver mes critiques. Sont-elles signes avant-coureurs ◀d’▶une réaction plus générale, ou simplement derniers vestiges ◀d’▶une répugnance libérale ? Quant aux articles, publiés avec ◀l’▶approbation indispensable du Parti, ils sont par définition suspects, mais j’admets que la plupart des hommes ne pensent, en réalité, que ce qu’on leur dit ◀de▶ penser, et qu’ils ont lu. En sorte que ◀l’▶expression ◀d’▶un point de vue officiel a bien des chances ◀de▶ refléter, comme par avance, ◀l’▶opinion générale ◀de▶ larges masses.
Ce qui me paraît ◀le▶ plus curieux à cet égard, ce sont certaines contradictions que j’ai relevées entre ◀les▶ articles parus en Allemagne sur mon livre. Cela étonne, venant ◀d’▶un tel pays, et cela n’est pas sans signification quant aux possibilités ◀d’▶évolution du régime.
L’un cite plusieurs ◀de▶ mes jugements ◀d’▶une façon très partiale et très habile : il ne conserve que ◀les▶ rares éloges et supprime ◀les▶ critiques qui terminaient ◀la▶ phrase ou ◀le▶ paragraphe cités. Il feint que j’approuve ◀la▶ mise au pas ◀de▶ ◀la▶ presse et ◀les▶ persécutions contre ◀les▶ juifs ! Et cela lui permet ◀de▶ louer ma « profonde connaissance ◀de▶ ◀la▶ vie allemande » (K. H. Bremer, dans Die Tat).
L’autre au contraire m’accuse ◀de▶ connaître si mal cette même vie allemande que toutes mes observations s’en trouvent faussées et mensongères. C’est, dit-il, que je cherche à juger ◀le▶ national-socialisme « à l’aide de catégories qui lui sont essentiellement inadéquates, à savoir ◀les▶ catégories chrétiennes-protestantes » (Cahiers franco-allemands). On ne saurait être plus clair, et je livre cette phrase à ◀la▶ méditation ◀de▶ ceux qui voient encore dans ◀le▶ Führer un protecteur ◀de▶ ◀l’▶Occident chrétien contre ◀la▶ barbarie des sans-Dieu bolchéviques !
Tandis que le premier écrit : « R… enrichit sans nul doute ◀la▶ discussion féconde entre ◀les▶ deux peuples », un troisième intitule son article (publié plus tard en brochure) Un mauvais service, et précise que mon livre ne peut être que « dangereux pour ◀les▶ relations entre ◀les▶ deux peuples ».
Ce dernier article m’a paru ◀le▶ plus intéressant à analyser (Prof. Hans Jeschke, dans Geist der Zeit). Il me reproche, en effet, non sans véhémence, ◀de▶ caractériser ◀le▶ national-socialisme comme « mouvement religieux », ou encore comme « ersatz ◀de▶ christianisme ». Alors, affirme-t-il, qu’il s’agit actuellement ◀d’▶un mouvement purement politique. Cependant, après avoir déclaré qu’ « entre cette conception du monde politique… et une religion au vrai sens du mot, il y a un pas ! », il ajoute : « Certes, ◀l’▶Allemand libéré des manières ◀de▶ penser chrétiennes peut très bien faire ce pas, et même devra ◀le▶ faire un jour, s’il reste conséquent dans ◀l’▶évolution ◀de▶ sa pensée. » En définitive, mon erreur serait ◀d’▶avoir anticipé sur cette évolution nécessaire, et ◀d’▶avoir exprimé en termes trop clairs ce qui n’est encore qu’un « devenir » et, à leurs yeux, un idéal…
Mais voyons ◀les▶ choses de plus près. « ◀La▶ cristallisation des concepts nationaux-socialistes en une image du monde proprement religieuse…, serait évidemment ◀le▶ plus beau couronnement ◀de▶ ◀la▶ révolution allemande. Elle rendrait à notre peuple son unité spirituelle et politique, et, par ◀l’▶adjonction ◀d’▶un élément métaphysique, élèverait ◀la▶ notion unitaire ◀de▶ ◀l’▶homme allemand au rang ◀d’▶une véritable “totalité”, en sorte que ◀le▶ reproche ◀d’▶étatisme totalitaire, qu’on nous fait, serait encore plus agréable à porter qu’il ne ◀l’▶est actuellement ! Toutefois, ◀le▶ national-socialisme poursuit aujourd’hui un seul but : ◀la▶ cohésion spirituelle et politique ◀de▶ ◀la▶ communauté allemande, à ◀l’▶intérieur comme devant ◀l’▶extérieur. Pour notre communauté religieuse et populaire, nous avons encore besoin ◀de▶ temps, et, à bien des égards, ◀de▶ maturation. Mais cette communauté politique est cependant aussi bien fondée, religieusement, qu’une communauté religieuse ◀le▶ serait sur une base existentielle-ontologique. »
Ces lignes, assez confuses, s’éclairent à mes yeux grâce à ◀la▶ lettre que m’écrivit vers ◀la▶ même époque un étudiant nazi. Il me reprochait, lui aussi, ◀d’▶avoir parlé ◀de▶ religion à propos de ◀la▶ croyance nationale-socialiste, et il ajoutait : « ◀La▶ religion est en effet quelque chose ◀de▶ sentimental. Notre conception du monde, au contraire, embrasse tout à la fois ◀le▶ domaine politique, ◀le▶ domaine spirituel et ◀le▶ domaine éthique. » Il résulte ◀de▶ ces précisions — si ◀l’▶on ose dire — que ◀le▶ national-socialisme est exactement une religion, comme je ◀l’▶affirmais, mais qu’il n’est pas « politique » ◀de▶ ◀l’▶avouer avant que cette religion ait réussi à s’affirmer avec une puissance incontestée. Bien plus, ◀la▶ croyance hitlérienne est à tel point ◀de▶ nature religieuse que ceux qui en vivent n’ont pas besoin ◀de▶ ◀le▶ savoir ! Comme pour jouir plus librement ◀de▶ sa « substance affective », ils refusent ◀l’▶étiquette compromettante. Ils sont au stade ◀de▶ ◀la▶ foi du charbonnier, et reculent encore, avec une sorte ◀de▶ pudeur opportuniste, devant ◀la▶ nécessité, pourtant prochaine, des définitions théologiques. C’est dans ce sens qu’on est en droit ◀de▶ parler ◀d’▶un paganisme irrationnel et romantique. Sous ◀le▶ couvert ◀de▶ ces refus véhéments ◀de▶ reconnaître ◀l’▶évidence, c’est-à-dire ◀la▶ nature religieuse ◀de▶ ◀l’▶hitlérisme, ◀les▶ nazis peuvent se livrer impunément aux confusions ◀les▶ plus catastrophiques ◀de▶ ◀l’▶instinct religieux naturel et ◀de▶ ◀la▶ volonté ◀de▶ puissance.
Ce débat sur ◀le▶ sens du mot religion n’est qu’un exemple — mais des plus typiques — des très profonds malentendus verbaux institués entre ◀l’▶Allemagne et tous ◀les▶ autres peuples par ◀la▶ Révolution nationale-socialiste.
Question ◀de▶ mots
On ne fait pas ◀de▶ révolution sans changer ◀le▶ vocabulaire. Car ◀la▶ force principale ◀d’▶un mouvement politique n’est pas ◀la▶ vérité ◀de▶ sa doctrine, mais ◀l’▶opportunité ◀de▶ sa propagande. ◀La▶ révolution, ◀de▶ nos jours, c’est d’abord une question ◀de▶ mots, une question ◀de▶ slogans, un cas particulier ◀de▶ cette science ◀de▶ ◀l’▶opinion qui s’appelle ◀la▶ publicité.
C’est pourquoi ◀la▶ conversation devient parfois si difficile entre un pays qui a fait une révolution et ses voisins qui en ont fait d’autres, ou qui n’en ont pas fait depuis longtemps. ◀La▶ fameuse « incompréhension » que ◀l’▶on observe entre ◀les▶ peuples n’est pas ◀de▶ nature sentimentale d’abord. Dans toutes ces querelles ◀de▶ ménage que se font ◀les▶ nations ◀d’▶Europe, il s’agit moins ◀d’▶humeurs que ◀de▶ lexiques incompatibles.
Ainsi du dialogue France-Allemagne. Il fut longtemps l’un des plus malaisés, à cause du pathos jacobin dont ◀les▶ Allemands avaient souffert pendant ◀l’▶Empire. Cette « liberté » qu’apportaient ◀les▶ Français à ◀la▶ pointe ◀de▶ leurs baïonnettes ne correspondait pas à des notions bien claires dans ◀le▶ cerveau ◀d’▶un paysan prussien. ◀D’▶où ◀les▶ malentendus que ◀l’▶on sait, et ◀les▶ « explications » un peu brutales qui aboutirent au compromis boiteux ◀de▶ Versailles. ◀Le▶ Reich promettait ◀de▶ comprendre, il proclamait ◀la▶ République, il allait essayer, lui aussi, ◀de▶ pratiquer ◀les▶ droits de l’homme… Et puis ◀l’▶on fut contraint ◀de▶ se rendre à ◀l’▶évidence ; décidément, cela ne prenait pas, cela n’entrait pas dans ◀les▶ coutumes germaniques. Alors parut M. Hitler.
Il a fallu cinq ou six ans pour déchiffrer ◀la▶ clef ◀de▶ son langage. ◀Les▶ récents événements y ont beaucoup aidé. Aujourd’hui je crois pouvoir dire que ◀le▶ système est assez simple, et qu’il consiste à peu près en ceci : reprendre ◀le▶ vocabulaire démocratique, mais changer ◀le▶ signe ◀de▶ chacun ◀de▶ ses termes. Exemples : ◀le▶ droit des peuples à disposer ◀d’▶eux-mêmes signifie, dans ◀le▶ langage totalitaire : ◀le▶ droit des peuples ◀les▶ plus forts à disposer ◀de▶ leurs voisins ◀les▶ plus faibles ; consolider ◀la▶ paix signifiera : envahir un pays à dix contre un sans avoir à tirer un obus. ◀La▶ presse italienne, dans son ardeur ◀de▶ néophyte, vend ◀la▶ mèche lorsqu’elle oppose à ◀la▶ violence et au bellicisme ◀de▶ Roosevelt ◀le▶ sens du droit et ◀le▶ pacifisme des dictateurs. Ce n’était donc pas plus malin que cela ? Il suffit ◀de▶ poser à ◀la▶ clef : noir égale blanc, et ainsi ◀de▶ suite. Enfin ◀l’▶on va pouvoir s’entendre !
Toutefois, comme en pareil domaine tout est affaire ◀de▶ nuances, parfois subtiles, il n’est pas superflu ◀d’▶entrer dans ◀le▶ détail ◀de▶ quelques-unes ◀de▶ ces transpositions. J’examinerai à cet égard trois termes : liberté et justice, qui viennent de notre fonds, et ◀le▶ néologisme espace vital.
On ignore trop souvent que ◀la▶ liberté signifiait pour ◀les▶ vieux Germains ◀le▶ droit ◀de▶ porter une arme et ◀de▶ ◀la▶ garder chez soi. Il est donc assez naturel que ◀le▶ congrès ◀de▶ Nuremberg, qui célébra ◀le▶ réarmement du Reich, se soit intitulé : Journée ◀de▶ ◀la▶ Liberté. Précisons : ◀l’▶armement pour ◀les▶ Allemands n’est pas comme pour nous autres démocrates un moyen ◀de▶ protéger des libertés ◀d’▶ordre civil. Il est en soi ◀la▶ liberté, et nulle autre n’est concevable…
◀La▶ justice est pour nous ◀le▶ respect du droit, et au-delà ◀de▶ ◀la▶ lettre ◀d’▶un code, une manière objective ◀de▶ jauger ◀les▶ arguments ◀de▶ deux parties adverses. C’est dans ce sens que j’avais essayé ◀d’▶être « juste » vis-à-vis de ◀l’▶Allemagne dans un petit ouvrage paru ◀l’▶automne dernier. Or, voici ce que m’écrit un hitlérien : « Juste, votre livre ne ◀l’▶est certainement pas. Car ◀la▶ justice jaillit ◀de▶ ◀la▶ plénitude ◀d’▶une vitalité sûre ◀d’▶elle-même, et non pas ◀de▶ comparaisons abstraites. C’est en quoi ◀les▶ notions française et allemande ◀de▶ justice s’opposeront pendant plusieurs décades encore. »
Effectivement ◀la▶ définition ◀de▶ ◀la▶ justice allemande que veut bien me donner mon correspondant signifie pour un esprit français : droit du plus fort, donc injustice. Ici encore, il suffit ◀de▶ changer ◀de▶ signe.
Quant à ◀l’▶espace vital des dictatures, on n’aura pas été sans remarquer que sa qualité ◀la▶ plus frappante est ◀l’▶élasticité illimitée. Plus ◀la▶ vitalité ◀d’▶un peuple est « sûre ◀d’▶elle-même », plus ses nécessités « vitales » s’accroissent. Que signifie alors ◀le▶ mot ? Non pas ce qu’un vain puriste pourrait croire, non pas ce qui serait indispensable pour préserver ◀les▶ Allemands ◀de▶ ◀la▶ famine, mais au contraire ce qui est indispensable pour satisfaire et augmenter encore une « vitalité sûre ◀d’▶elle-même ». ◀L’▶espace vital, c’est celui que réclament non ◀la▶ misère et ◀la▶ famine, mais ◀l’▶orgueil et ◀la▶ boulimie. Ce sont ◀les▶ blés moraves et ◀les▶ pétroles roumains, réserves ◀de▶ guerre. Ce qui est vital, c’est donc tout simplement ce qui permettra ◀de▶ faire ◀la▶ guerre, c’est-à-dire — traduit en allemand — ◀d’▶affirmer une « vitalité sûre ◀d’▶elle-même » et ◀de▶ « consolider ◀la▶ paix »…
Bornons-nous à remarquer que pour ◀les▶ peuples revendiqués par ◀le▶ Reich en ces termes, ce qui est pour un nazi espace vital risque malheureusement ◀de▶ s’appeler bientôt champ de bataille, ou espace mortel.
Et maintenant, que faire ?
◀La▶ nouvelle ◀de▶ ◀la▶ mort ◀de▶ Pie XI a répandu bien au-delà des frontières du catholicisme une émotion dont chacun sent ◀l’▶arrière-pensée, ◀l’▶arrière-angoisse. Cette mort en plein combat dans ◀l’▶invisible spirituel, à ◀la▶ veille ◀d’▶un discours qui devait être un acte, nous laisse tous en suspens sur ◀le▶ mystère ◀de▶ notre époque : un mystère ◀de▶ nature religieuse. Vous ◀l’▶éprouverez sans doute comme moi dans ◀les▶ salles ◀d’▶actualités, à considérer ◀le▶ public quand passe ◀le▶ film des funérailles romaines. Quelque chose vibre dans ◀l’▶obscurité, des régions endormies ◀de▶ ◀la▶ conscience humaine de nouveau se sensibilisent… Possibilités ambiguës dont il ne faudrait pas trop vite se réjouir.
Il se peut que ◀les▶ temps qui viennent voient s’éveiller dans ◀l’▶âme des masses une grande faim élémentaire trop longtemps refoulée et niée. ◀L’▶histoire ◀de▶ ◀l’▶après-guerre aux yeux de nos descendants sera peut-être moins ◀l’▶histoire des traités et ◀de▶ leur périlleux ajustement, que ◀l’▶histoire du réveil des religions au terme ◀de▶ ◀l’▶ère rationaliste.
Ce n’est pas ◀le▶ phénomène en soi, mais son ampleur, qui s’annonce sans précédent. ◀Le▶ siècle des Lumières, puis ◀le▶ siècle individualiste, ont relâché et parfois même dissous ◀les▶ liens « sacrés » du corps social. ◀Le▶ xixe siècle a vu ◀la▶ décadence des formes, conventions, cérémonies et lieux communs qui étaient ◀les▶ signes extérieurs ◀d’▶une communion tacite entre ◀les▶ hommes. Nous sommes là, petits individus, impuissants, isolés, méfiants, posés ◀les▶ uns auprès des autres, à nous demander pourquoi nous sommes ensemble. Il s’est formé dans ◀la▶ cité un sentiment encore diffus ◀de▶ vide social, analogue à celui qui dut marquer ◀la▶ décadence ◀de▶ ◀l’▶Empire romain. Mais ◀de▶ ce vide naît un appel. Et cet appel à une communauté nouvelle, à une « mystique » comme on ◀le▶ répète un peu partout, plus simplement : à des raisons ◀de▶ se regrouper, c’est ◀l’▶affleurement ◀d’▶un inconscient désir ◀de▶ « ce qui lie », ◀d’▶une religion. ◀De▶ n’importe quelle religion…
Il est temps que ◀le▶ monde chrétien prenne conscience à la fois ◀de▶ cette chance et des risques immenses qu’elle ouvre.
Car on ne peut plus se ◀le▶ dissimuler : ◀les▶ masses modernes, privées ◀de▶ culture spirituelle, athéisées jusqu’à un point que ◀les▶ chrétiens, souvent, n’imaginent guère, se trouvent devant ◀le▶ fait religieux plus ignorantes, plus démunies et plus « barbares » que ◀les▶ peuplades polynésiennes avec leurs rites et leurs sorciers. Si ◀la▶ faim religieuse s’éveille dans ces masses, elles risquent aussi bien ◀de▶ se satisfaire par ◀les▶ moyens ◀les▶ plus grossiers, et par exemple par ◀le▶ seul sentiment ◀d’▶une fraternité charnelle, ◀d’▶un coude à coude pathétique. Ce n’est pas là une hypothèse : il suffit ◀de▶ traverser ◀le▶ Rhin pour ressentir, jusqu’au frisson ◀de▶ ◀l’▶horreur sacrée, ◀la▶ réalité monstrueuse ◀d’▶une ◀de▶ ces religions larvaires. On demande souvent quel est ◀le▶ contenu ◀de▶ ◀la▶ « mystique » nationale-socialiste. ◀L’▶effrayant, c’est qu’il n’y en a pas. Il n’y a rien que des masses qui se ressentent comme telles, à ◀la▶ faveur ◀d’▶un déploiement théâtral et géométrique, autour ◀d’▶un chef qui ne veut être que leur incarnation et leur symbole. Des masses qui communient avec elles-mêmes dans un chant triste ou dans un cri.
Or ces religions vagues et violentes se cherchent pourtant une doctrine. N’étant pas nées ◀d’▶une création spirituelle, ◀d’▶une espérance ouvrant ◀l’▶avenir, elles ne savent justifier leur existence que par ◀le▶ fait qui rassemble ◀les▶ masses : ◀l’▶origine commune, ◀le▶ passé. ◀Le▶ christianisme fondait une société ouverte, liée par ◀l’▶attente unanime ◀d’▶un au-delà libérateur. « ◀Les▶ choses vieilles sont passées », dit saint Paul, il n’y a plus ni Juif ni Grec, et tu es mon frère en ◀la▶ cité nouvelle si tu partages mon espérance. Et tu es mon frère encore si tu ◀la▶ refuses, parce que j’espère pour toi, mon ennemi… Mais ◀le▶ national-socialisme se trouve avoir donné ◀le▶ type ◀d’▶une communauté régressive, fondée sur ◀les▶ seules choses révolues, sur tout ce que ◀l’▶on a derrière soi et qui ne peut plus être changé : ◀le▶ sang, ◀la▶ race, ◀la▶ tradition, ◀les▶ morts, tout ce qui impose un destin sans recours.
Voilà pourquoi cette religion est, au suprême degré, intolérante et plus qu’intolérante : on ne peut même pas s’y convertir ! Si ◀l’▶on n’a pas ◀le▶ même passé, ◀l’▶on ne pourra jamais y entrer — si ◀l’▶on n’est pas ◀de▶ sang aryen, par exemple. Car cette religion n’admet pas que « ◀les▶ choses vieilles sont passées ». Elle n’admet pas cette nouvelle naissance, cette conversion à partir de laquelle il n’y a plus ni Juifs ni Grecs aux yeux de ◀l’▶esprit. Elle ne demande pas : que crois-tu ? qu’espères-tu ? mais elle demande seulement : quels sont tes morts ? Religion du sol et du sang, religion sanglante et mortelle, religion des choses vieilles, mortes et enterrées depuis des millénaires, jamais « passées », et qui réclament encore du sang, des morts, des cortèges funèbres, des cérémonies ◀d’▶imprécation, des sacrifices propitiatoires, ◀le▶ tam-tam des tambours lugubres, ◀d’▶hallucinants sabbats ◀de▶ nègres blancs !
Qui ne voit qu’une telle religion hait mortellement ◀la▶ foi chrétienne, tournée vers ◀le▶ pardon, ◀le▶ futur éternel, ◀le▶ rachat du péché ◀d’▶origine ?
Ce n’est pas un conflit accidentel, c’est encore moins un conflit politique qu’il faut chercher à ◀l’▶origine réelle des persécutions hitlériennes contre ◀les▶ Églises du Christ. C’est une opposition ◀de▶ nature et ◀d’▶essence, radicale et insurmontable ; c’est ◀l’▶affrontement du destin sombre et ◀de▶ ◀la▶ foi libératrice, des choses fatales et des « choses espérées », du culte des morts et ◀de▶ celui du Dieu vivant.
◀L’▶ère des religions s’ouvre à nous, chargée ◀de▶ promesses équivoques. Ère nouvelle pour ◀les▶ chrétiens qui pensaient n’avoir plus à redouter que ◀l’▶incroyance et ◀l’▶inertie. Peut-être vont-ils découvrir que ◀l’▶adversaire fanatisé ◀les▶ défie mieux que ◀le▶ sceptique et ◀les▶ ramène mieux à leur vraie force. Car il ne suffit plus ◀d’▶entretenir un vague sentiment religieux, vestige ◀d’▶un passé touchant, pour répondre à une religion dans sa jeunesse virulente et affamée. Il faut se réduire aux vérités solides. À celles qui nourrissent ◀l’▶espérance, et non ◀la▶ peur ou ◀la▶ haine du voisin. Il faut surtout répondre mieux que ◀l’▶adversaire au problème qu’il tentait ◀de▶ résoudre, à ce problème du vide social, communautaire, qui dès maintenant se pose à nous aussi. Car si d’autres y ont mal répondu — ◀les▶ communistes et ◀les▶ fascistes — nous ne pourrons pas nous en tirer, pour notre part, en critiquant simplement leurs erreurs. Il est facile ◀d’▶avoir raison ◀de▶ loin ; plus difficile ◀de▶ découvrir une voie meilleure où ◀l’▶on soit prêt à se risquer soi-même.
Quelle voie ? On m’a reproché ◀d’▶y avoir fait allusion sans ◀la▶ préciser clairement. J’essaierai ◀de▶ tracer ◀le▶ dessin maladroit ◀d’▶une utopie.
Il semble que les premières tâches soient ◀d’▶ordre politique et social. Je n’ai pas ◀de▶ conseil à donner aux ministres, et peu d’entre nous sont en mesure ◀d’▶influencer ◀les▶ décisions au jour ◀le▶ jour qu’ont à prendre ◀les▶ gouvernements. Mais il n’en va pas de même dans ◀les▶ questions sociales. Ici, ◀la▶ tâche n’est pas douteuse : si chacun ◀de▶ nous prenait sa part dans ◀la▶ lutte contre ◀le▶ chômage, si chacun ◀de▶ nous s’efforçait ◀de▶ réduire ◀les▶ injustices qui pèsent encore sur ◀la▶ classe ouvrière et ◀la▶ paysannerie et parvenait ainsi à ◀la▶ conscience ◀de▶ ◀l’▶isolement réel où sont ◀les▶ hommes contraints ◀de▶ vivre entassés et sans liens spirituels dans ◀les▶ villes, ◀le▶ sens social renaîtrait parmi nous, et par là même, ◀les▶ séductions totalitaires perdraient beaucoup de leur pouvoir immédiat.
Sur le plan international, où ◀l’▶opinion, ◀de▶ nos jours, joue un rôle décisif, ◀la▶ direction qu’il convient ◀d’▶adopter ne me paraît ni moins claire ni moins simple. ◀L’▶Allemagne a poussé à ◀la▶ perfection ◀le▶ système ◀de▶ ◀l’▶autarcie. À tel point que ce terme résume ◀la▶ politique et ◀la▶ religion ◀d’▶Hitler. Or ◀l’▶autarcie n’est à tout prendre qu’une transposition ◀de▶ ◀l’▶individualisme au niveau de ◀l’▶État-nation. Un seul système s’y oppose radicalement : c’est celui ◀de▶ ◀la▶ communauté, ◀de▶ ◀l’▶interdépendance des nations et régions qui s’appelle ◀le▶ fédéralisme. Seul ◀le▶ fédéralisme est propre à recréer, sur le plan politique, une commune mesure des nations, un droit et des coutumes viables, un langage vrai pour ◀la▶ diplomatie (qui se meurt ◀de▶ rhétorique périmée). Et j’entends par fédéralisme : dévalorisation ◀de▶ toutes ◀les▶ frontières économiques, politiques, militaires ; création ◀d’▶entreprises communes à plusieurs nations ; mise en exploitation commune des colonies ; ententes économiques et commerciales ; échanges ◀de▶ matières premières et ◀de▶ main-d’œuvre ; répartition des activités humaines non dans ◀le▶ cadre rigide des barrières douanières, mais autour de centres ◀de▶ production matérielle ou spirituelle. Il est clair que ce système ◀d’▶aménagement correspond seul aux réalités économiques, sociales et militaires ◀d’▶aujourd’hui : ◀les▶ bassins industriels par exemple ne se confondent presque jamais avec ◀les▶ bassins linguistiques, ou avec ◀les▶ bassins commerciaux, et moins encore avec ◀les▶ « régions stratégiques » naturelles. C’est dire que ◀le▶ système des frontières administratives et politiques, doublées ◀de▶ cordons policiers et douaniers, ne répond nulle part aux besoins réels. C’est dire encore que loin ◀d’▶être utopique au mauvais sens, ◀le▶ fédéralisme sur tous ◀les▶ plans serait au contraire ◀le▶ seul système non seulement souhaitable mais raisonnable. Et pourtant, dès qu’on parle ◀de▶ fédéralisme, on déclenche ◀le▶ reproche ◀d’▶utopie. ◀D’▶où vient cette résistance — au sens freudien — à ◀la▶ solution rationnelle ? Je pense qu’il faut ◀l’▶attribuer au scepticisme résigné des « réalistes », qui ne peuvent croire ◀le▶ rationnel réalisable. En somme, ils ont raison dans l’état actuel des choses mais surtout des esprits. Reste à savoir si nous devons enregistrer cet état comme fatal et permanent. Reste à savoir si, justement, nous ne devons pas tenter ◀l’▶impossible — qui rendra tout ◀le▶ reste possible, et consacrer désormais nos efforts à transformer ◀la▶ vie morale des masses, ◀de▶ telle façon que ◀les▶ solutions ◀de▶ raison puissent devenir des solutions pratiques. Nous voici ramenés au problème des religions.
Certaines phrases ◀de▶ ma Conclusion 1938 pouvaient prêter à équivoque, et y ont prêté. Je demandais que ◀les▶ démocraties résolvent à leur manière ◀les▶ problèmes religieux qu’ont résolus, vaille que vaille, ◀les▶ dictateurs. Je demandais qu’elles retrouvent une foi… On a pu croire que j’appelais à ◀la▶ rescousse je ne sais quelle « mystique démocratique ». Rien n’est plus loin de ma pensée. Toute espèce ◀de▶ « mystique » libertaire est condamnée ◀d’▶avance, dans ◀la▶ lutte engagée. Car ◀la▶ mystique nationale-socialiste ne s’appuie pas sur des idées ou des raisons, mais sur ◀la▶ personne même ◀d’▶Hitler, présent et agissant parmi son peuple. Elle n’a pas pour foyer une idée ◀de▶ ◀l’▶homme, mais un homme.
Et cet homme n’est pas tel qu’on ait ◀le▶ droit ◀de▶ rêver ◀d’▶en voir surgir ◀d’▶aussi puissants au service ◀de▶ causes meilleures. Lorsqu’on songe aux pouvoirs sans précédent qu’il a revendiqués et pris en fait, lorsqu’on songe qu’il prétend être en personne non seulement ◀le▶ chef de l’État, mais ◀l’▶autorité spirituelle et ◀le▶ sens même ◀de▶ ◀la▶ nation allemande, il devient parfois difficile ◀de▶ ◀le▶ considérer comme « un homme ordinaire »… C’est après avoir vu ◀le▶ Führer magnifié par ◀le▶ culte ◀de▶ son peuple que j’écrivais cette phrase qui parut ambiguë : « Seul un prophète peut lui répondre. »
Mais dans ◀l’▶attente du prophète, que dirons-nous ?
On peut être tenté ◀de▶ répondre à ◀la▶ religion totalitaire en lui opposant une autre religion. Je songe au culte catholique, à ses cérémonies grandioses, à ses « congrès eucharistiques ». N’est-il pas significatif que ces grands spectacles ◀de▶ masses autour ◀d’▶une Présence sacrée se multiplient dans ces dernières années ? C’est ◀la▶ réponse traditionnelle au même besoin qui, sous une forme plus élémentaire — sans dogmatique ni transcendance, ni rites précieux et séculaires — émeut ◀les▶ masses germaniques et ◀les▶ rassemble autour du chef libérateur. Pourtant, cérémonies contre cérémonies, celles ◀d’▶Hitler gardent ◀l’▶avantage ◀de▶ flatter ◀l’▶homme au cœur ◀de▶ sa violence, ou pour mieux dire ◀de▶ sa brutalité. ◀L’▶Église catholique, aujourd’hui, reste ◀la▶ seule puissance organisée qui se donne pour universelle, donc en droit supranationale, et à ce titre, elle représente ◀le▶ havre ◀de▶ millions ◀d’▶espoirs. Pourtant, ◀le▶ sens ◀de▶ ◀l’▶universalisme peut-il être instauré ou restauré à partir ◀d’▶une Église qui se dit « catholique » mais qui, en fait, est surtout romaine, quand elle n’est pas ◀de▶ connivence avec tels pouvoirs établis en Europe ? Ou faut-il exiger, espérer davantage, attendre tout ◀d’▶un nouveau christianisme, qui serait universel non point par ◀la▶ vertu ◀d’▶une organisation unique, mais parce qu’il saurait rendre aux hommes ◀le▶ sens intime et personnel ◀de▶ leur appartenance première à ◀l’▶Esprit qui transcende toute nation ?
Il se peut que ◀la▶ tâche urgente ne soit nullement ◀de▶ satisfaire ◀l’▶instinct religieux des masses, mais au contraire de ◀les▶ en délivrer. Il se peut — et même je ◀le▶ crois — que ◀la▶ seule tâche vraiment urgente soit ◀d’▶éduquer ◀le▶ genre humain, c’est-à-dire ◀de▶ ◀le▶ conduire au-delà (e-ducere : conduire hors de) — au-delà des exigences ◀de▶ sa nature dans ce qu’elles ont de plus exalté et à la fois de plus dangereux. (Toutes ◀les▶ religions, comme telles, sont « sanguinaires ».) ◀Le▶ néo-paganisme hitlérien est ◀la▶ réponse ◀la▶ plus puissante que ◀les▶ hommes ◀d’▶aujourd’hui aient inventée pour satisfaire leur faim religieuse. Mais c’est aussi ◀le▶ plus puissant défi qui ait été jeté au christianisme : votre foi sera nouvelle à son tour, ou bien elle sera balayée. Elle sera nouvelle au sens ◀le▶ plus actif du mot : elle retrouvera ◀la▶ virulence qu’elle avait à ◀l’▶état naissant, elle sera plus communautaire et plus réellement personnelle. ◀La▶ véritable « communion des saints » sur tous ◀les▶ plans, du spirituel au matériel — n’est pas ◀le▶ fait ◀d’▶une organisation même « sacrée », mais ◀d’▶une présence réalisée dans chaque personne, enracinée dans ◀l’▶acte ◀de▶ ◀la▶ foi que ◀l’▶on ne peut jamais faire que seul mais parmi d’autres, comme on naît seul, comme on meurt seul. Je crois qu’en dehors de cette foi, il n’est pas ◀d’▶hommes qui puissent se vanter ◀d’▶être à jamais irréductibles aux tentations totalitaires.
On me dira que c’est exiger ◀le▶ miracle, mais montrez-moi que rien ◀de▶ moins puisse être assez ?
Et si ◀l’▶on dit encore : Ce n’est pas une solution ! je répondrai qu’alors il n’y en a point.