(1981) Articles divers (1978-1981) « La ruée vers le Graal : questions à Denis de Rougemont (13-14 juin 1981) » p. 43

La ruée vers le Graal : questions à Denis de Rougemont (13-14 juin 1981)bp

Nous sommes des Celtes, me dit Denis de Rougemont.

Il habite une ancienne ferme dans le pays de Gex. Des œillets roses sur des marches de pierre, un jardin planté de haies, nous parlons du retour en force des légendes bretonnes qui ont inspiré en partie son livre L’Amour et l’Occident , publié en 1939.

Nous sommes imprégnés des récits de la Table ronde, ils sont entrés dans nos gènes, même si nous n’en avons pas conscience, ajoute de Rougemont qui a écrit un jour : « Le caractère le plus profond du mythe, c’est le pouvoir qu’il prend sur nous, généralement à notre insu. »

Pourquoi cet oubli ?

Par méconnaissance de notre histoire. Les Celtes ont occupé tout le territoire européen de Gibraltar à la Roumanie, du Nord de l’Écosse à l’Asie Mineure, sauf la Grèce et l’Italie latine, où n’ont eu lieu que des raids de commando.

Paul Valéry se trompe lorsqu’il déclare que tout homme profondément influencé par Athènes et par Rome est un Européen : les Celtes et les Germains manquent à cette définition. Or, je crois que la vie de l’esprit, chez les Celtes, leur sensibilité, leur affectivité sont beaucoup plus riches et raffinées que chez les Romains.

L’origine du Graal

Réjouissons-nous donc : nous sommes Celtes, comme l’affirme avec force Jean-Pierre Vouga, dans son livre L’Europe à l’heure des Celtes (Galland) qui contient un hommage à Denis de Rougemont.

Quelles sont, dans ce contexte, les origines de la quête du Graal ?

L’origine est complexe. Tout d’abord, évidemment, les vieilles légendes celtes adaptées par le christianisme, au xiie siècle. Or, à cette époque se développe parallèlement en Languedoc et en Poitou la religion cathare dont certains aspects (le dualisme, la vertu de chasteté, le rôle de la Dame) se retrouvent dans ces romans, ainsi que dans la poésie des troubadours du midi de la France, dont on a reconnu l’influence sur Tristan et la quête du Graal. Or, je l’avais dit avant la guerre et l’on m’a insulté pour cela, la poésie des troubadours était influencée par la poésie arabe et la mystique islamique. Ces influences sont venues par l’Espagne. On sait aujourd’hui, par exemple, les noms des esclaves arabes, choisis parmi les meilleurs musiciens et poètes, qui vivaient à la cour de Guillaume IX de Poitiers. Il y avait en ce temps-là une circulation continuelle des idées et des formes de sensibilité entre l’Europe et l’Orient.

Qu’est-ce donc que le Graal ?

Le sacré est toujours polyvalent. La signification du Graal change d’une version à autre. Ce peut être le sang du Christ, la victoire sur le mal, le signe que l’esprit ne meurt pas. D’une manière générale, le but spirituel dans la vie humaine.