Paul Vaillant-Couturier, Au service de l’Esprit (février 1937)ab
Ce « rapport » a été approuvé à l’unanimité par le Comité central du Parti▶ communiste français, le 16 octobre 1936. C’est donc un manifeste, et un texte officiel. Il convient d’en parler avec sérieux.
Tout d’abord quelques citations :
L’homme ne peut penser et créer que s’il est libre. — Nous avons toujours admis la légitimité de la propriété. — Dans le monde capitaliste des monopoles privés, la personne humaine, cette grande force spirituelle, est traquée… — Le capitalisme détruit la famille… ruine les valeurs morales. — (Les communistes) repoussent la pièce à thèse, le roman à thèse, la thématique obligatoire. Ils appellent le retour à l’art sain dans la liberté. — Il est temps de donner le pas à l’esprit sur les forces de la matière. — Au-dessus de tout, ils placent l’homme. — Notre sens de la solidarité ne nous empêche pas de voir — bien au contraire — ce qu’il y a d’humain dans l’attendrissement et dans le besoin de bonté de la charité. — Tout le problème est là : mettre la machine au service de l’homme. — Il s’agit de transformer le chômage en loisir.
Je résume : primauté du spirituel ; primauté de l’homme sur l’économique ; affirmation de la personne comme valeur spirituelle absolue, par suite rejet du capitalisme et du fascisme ; liberté nécessaire de la culture ; enfin, subordination du machinisme, perfectionné, aux besoins humains.
Toutes ces thèses figurent dans le Cahier de revendications qui présenta le mouvement personnaliste à son départ, en 1932 (n° de décembre de la NRF). Ce sont ces thèses-là, précisément, qui furent alors qualifiées de « fascistes » par les doctrinaires du PC.
Mais nous nous garderons bien de marquer le point. (Ce qui équivaudrait à reconnaître la conversion globale des communistes au personnalisme.)
D’abord parce que Vaillant-Couturier combine ce personnalisme-là avec un chauvinisme que je vous laisse qualifier :
C’est la générosité française, c’est l’amour français de l’indépendance, c’est ce sens français de l’universel, c’est l’humanisme français qui demeurent les meilleurs garants de la volonté française de paix. — Le communisme est un moment de la France éternelle. — Nous continuons la France, la France généreuse, accueillante, compréhensive, rayonnante, toute de mesure et de goût. — Nous sommes attachés à cette sélection de grâce et de mesure qui s’appelle la politesse française.
Ensuite parce que les déclarations de l’auteur sur le procès Zinoviev (p. 11), sur « l’indépendance financière absolue » du ◀Parti▶ (p. 16) — curieusement appuyées par ce mot d’ordre qu’on lit p. 10 : « Ni Rome, ni Berlin, ni Moscou ! » — laissent peu de doutes sur la signification orthodoxe, vraiment « dialectique », que l’on donne, chez les communistes, à l’expression bonne foi.
La brochure se termine ainsi : « C’est à l’Esprit que le ◀Parti▶ communiste français… fait confiance pour l’aider à résoudre les problèmes de la paix, de la liberté et du pain des hommes. » Autant dire qu’il ne fait plus confiance à Marx. Autant dire qu’il ne se fait plus confiance à lui-même. Autant dire que toutes les attaques marxistes contre les positions d’Esprit et de l’ON depuis quatre ans, n’avaient pas même l’excuse de la sincérité.
Ou alors, c’est que M. Vaillant-Couturier, qui pourtant n’hésite pas à déclarer que « les intellectuels sont en quelque sorte (sic) les idées incarnées », se fait par ailleurs du Français cultivé une idée plus marxiste qu’on ne croyait : ce serait le gogo intégral. Ce serait par exemple le lecteur qui n’aurait pas remarqué, entre autres, que cette brochure-manifeste ne touche pas un traître-mot (sans calembour) des problèmes que pose le marxisme : étatisme, dictature, déterminisme économique et pas un mot de l’oppression stalinienne. Et pas un mot de la « dialectique ».
Et puis, qu’est-ce que l’Esprit qu’il veut servir ? La majuscule ne suffit pas à le définir. Page 20, on croirait bien que c’est « la raison ». Mais l’ensemble du manifeste donne penser que c’est plutôt la tactique…
Si le Français, né malin, ne doit pas mourir gogo, la brochure de Vaillant-Couturier fera plus de mal au ◀parti stalinien que les livres de Gide et de Céline.
P.-S. — On a corrigé par un erratum manuscrit la faute de la page 13 : « La paix ne se conçoit pas dans la liberté. » (Phrase qui aurait pu faire croire que l’URSS est pacifiste). Mais on a laissé figurer le nom de Gide parmi « les plus grands écrivains de ce temps » embrigadés par les vrais communistes.